samedi 24 décembre 2016

31) ZINIA ROLANDO, UN HELVÈTE BAROUDEUR



ZINIA ROLANDO (13 Mai 2000)

Cet Helvète exubérant et dynamique a servi sous quatre uniformes, a connu 11 prisons espagnoles + une : la prison St Antoine de Genève (pour avoir servi dans des armées étrangères ce que la Suisse, pays neutre, interdit à ses citoyens).
Né le 23 octobre 1919, à Aïre (Genève), sur les rives du Rhône, Zinia est le fils d'un sculpteur d'origine sardo-piémontaise né en 1885, qui fut élève de Rodin et ami de Bourdelle : Cylla d'Aïre, de son vrai nom Alfred Rolando. Sa mère, Berthe Cécile Jaton, née à Nyon, le 2 octobre 1895, est une vaudoise d'origine savoyarde et huguenote.

Zinia chez lui à Nice

Sous le porche de l'immeuble, à l'instant où je compose le code de la porte d'entrée, un homme d'âge incertain, plutôt mince, au visage intelligent, au nez chaussé de lunettes à monture d'écaille derrière lesquels deux yeux vifs sont à l'affût, m'interpelle d'une grosse voix tonitruante aux intonations romandes:
– Vous ne seriez pas par hasard Marc Schweittttzer ?
Je n'aime pas être interpellé de la sorte. Lorsque cela se produit, je réponds toujours d'une voix peu amène.
– Pourquoi cette question?

Zinia et moi !!

– Je venais rendre visite à mon ami Differdange, mais il n'est pas là. Je suis un de ses amis de Nice, je m'appelle Zinia Rolando... Voici mon épouse, Jeanne.
Je m'humanise et me radoucis.
– Oui, je suis bien Marc Schweizer.
Mon premier mouvement est d'inviter le couple à monter chez nous.
Mais Charlotte se repose après une journée harassante et n'aime pas ce genre d'invitation impromptue.
Je me ravise donc et, les priant d'attendre un instant, je monte chez nous prévenir Charlotte que j'allais boire un verre en face.
Ce que nous faisons.
Le bistrot est plein à craquer. Par prudence, je m'installe au bar, installe Zinia sur un haut tabouret dos à la paroi, et Jeanne entre nous.
Je commande une bouteille de mainetout-salon, du vin blanc de Sancerre, et quelques amuse-gueule.
En un quart d'heure, Zinia m'a raconté sa vie, faisant profiter tout le café de ses aventures.
Jeanne, son épouse, est une jolie femme menue, élégante, fragile, discrète, tout le contraire de Zinia, un mousquetaire, un lansquenet, un ferrailleur... au verbe haut, à la faconde épanouie, à l'accent helvétique savoureux.
Et, dégustant le vin à petites gorgées, j'écoute le récit de Zinia.
Il m'explique d'abord s'il est à Paris, c'est pour assister à la traditionnelle réunion annuelle des anciens de la 2e DB.

“ Le 24 août 1944, une poignée de Suisses s'enfoncent dans les rues de Paris aux commandes de leurs chars. Ils appartiennent à la 2e DB du général Leclerc et viennent libérer la Ville Lumière...
Le Genevois Zinnia Rolando a été l'un des premiers tankistes à pénétrer dans la capitale française. Comme une poignée de Suisses qui se sont engagé et participé à cette page importante de la reconquête de la France aux côtés des 16 000 hommes de la 2e DB.
-Nous étions une bonne dizaine de Suisses dans mon unité, raconte le retraité qui vit aujourd'hui à Nice.
-Il y avait notamment mes copains Henri Chevalier, un gars de Vevey, et Marcel Duvoisin, qui venait de Renens. Malheureusement, ils sont décédés ces dernières années.“



La vie de mon compatriote n'est pas triste.
Je vais tenter de la résumer.
Ce fringant genevois qui vient de franchir allègrement le cap des 80 ans, est un personnage hors du commun, sur les épaules duquel les années ne semblent pas avoir de prise.
Vivant à Nice, il se baigne été comme hiver dans la Grande Bleue, escalade les collines et les montagnes comme un chamois, abat chaque jour, apparemment sans fatigue, ses vingt bornes à pied, entretient une gigantesque correspondance avec ses nombreux amis parmi lesquels quelques écrivains célèbres.
Une véritable force de la nature. Respirant la joie de vivre, cet optimiste né, a pourtant connu dans son existence quelques obstacles qu'il a franchis avec courage, enthousiasme et panache.
Dans ce ménage d'artistes peu fortunés, la naissance de Zinia ne fut pas accueillie avec joie, mais plutôt ressentie comme une catastrophe.
Sa mère lui raconta plus tard avec une cynique franchise, que «Les artistes n'ayant pas besoin d'enfants» elle le remit à une nourrice, deux heures à peine après sa naissance.
Puis il fut confié à sa grand-mère maternelle.
A l'âge de 7 ans, on le plaça chez divers fermiers du Jura vaudois où il vécut une enfance un peu rude.
Légion étrangère
Zinia raconte avec verve comment, sorti de l'école à 14 ans, et du cul des vaches à 19 ans, il effectue son Ecole de recrue dans l'artillerie hippo-tractée à Bülach-Kloten du 5 janvier 1939 au 5 avril 1939. Puis, fuyant la Suisse où il se sent à l'étroit, il s'engage le 8 mai 1939 à la Légion étrangère. Avec le Ier régiment étranger de cavalerie (Ier R.E.C.) il participe aux combats de juin 40 dans la Somme.
Blessé au sud de Péronne, il gagne le Maroc où il est incorporé au 2e R.E.C.
Le 1 mars 1941, il déserte pour rejoindre l'Angleterre par le Maroc espagnol et l'Espagne, afin de s'engager dans les Forces Françaises Libres.
Il fera une guerre exemplaire, sera de toutes les batailles depuis Koufra, au fond du désert de Lybie jusqu'à Berchtesgaden, libérant au passage les villes de Paris et de Strasbourg.
Après sa démobilisation, Zinia possède pour seules richesses un viatique 1.000 anciens francs (de l'époque), sa prime de démobilisation, un costume en fibre de bois de la Belle Jardinière, mais aussi, en guise de capital, une belle prestance et un bagout extraordinaire.
Le retour dans sa patrie sera moins glorieux. La neutralité de la Suisse interdisant à ses citoyens de servir sous un uniforme étranger, Zinia connaîtra durant quelques mois les douceurs de la sinistre prison Saint-Antoine.
Mais il s'en relèvera et retournera très vite en France qui l'accueillera beaucoup mieux.
De 1945 à 1948 il vécut de petits boulots. Il fut notamment "essayeur" chez Panhard. Il vous racontera sans doute sur ce site les mille aventures de sa vie d'Helvète-pas-comme-les-autres !
Sa première chance fut de rencontrer Léon Gingembre, fondateur de la Confédération des petites et moyennes entreprises, dont il devint durant 18 mois le porte-parole sur les routes de France.
Les études de Zinia Rolando, nous l'avons vu, n'ont pas dépassé les classes primaires. Ce n'est donc ni un fin lettré ni un intellectuel. Son orthographe laisse parfois à désirer. Mais il possède un solide bon sens, une inextinguible soif d'apprendre et une véritable fringale de lecture.
Et puis, il faut bien le dire, Zinia dispose de trois atouts majeurs : une belle gueule virile, une voix de bronze au timbre juste, et un charisme vertigineux, des qualités qui plaisent autant aux demoiselles qu'aux belles-mères en puissance de gendre qu'aux entrepreneurs.
Léon Gingembre le présente à Paul Robert le (bientôt) célèbre lexicographe.
Dès le premier contact, le courant passe entre ces deux hommes venus d'horizons opposés et à la culture très différente. D'emblée, le distingué linguiste et le baroudeur autodidacte s'apprécieront mutuellement à leur juste valeur.
Cette rencontre ouvrit au jeune Helvète la perpective d'une nouvelle et fantastique aventure. Il deviendra le représentant-conférencier itinérant du Dictionnaire Robert qu'il présentera à travers la France, la Belgique, la Suisse et l'Allemagne, toujours avec le même enthousiasme.
Durant plus de 30 ans, il animera avec dynamisme et panache plus de 2500 réunions d'information, au cours desquelles il présentera avec un grand professionnalisme à un public subjugué, ce nouveau et magnifique dictionnaire.
Aujourd'hui à la retraite, Zinia taquine la Muse, collectionne les citations, vagabonde par monts et par vaux toujours plein d'allant, dynamique, baroudeur aux pensées libertaires, toujours insoumis, et régalant ses amis, chaque jour que Dieu fait, de ses lettres savoureuses.
Pour devise il a adopté une phrase de son compatriote Blaise Cendrars:

"Le seul fait d'exister est un véritable bonheur"
Voici l'un de ses derniers poèmes.
Aux tempes, vois, ton poil grisonne
Et le vent dépouille les bois !
Écoute le souffle de l'automne
Qui parle de mort sans effroi.
La vieillesse est vite bouffonne
Pour qui s'obstine aux yeux grivois
Aux tempes, vois, ton poil grisonne
Et le vent dépouille les bois !
Fais en sorte qu'on t'abandonne,
Quitte la fête en tapinois,
Assez parlé de tes exploits,
Ils n'intéressent plus personne !
Aux tempes, vois, ton poil grisonne,
Et le vent dépouille les bois !
I – Le Déserteur
Zinia gagne l'Afrique du nord Rescapé du 97e G.R.D.I., formé en 1939 du 1er étranger de cavalerie engagé fin avril au sud de Péronne (Somme), Zinia put rejoindre avec quelques camarades le Fort Saint-Jean à Marseille.
De là, après bien des aventures et des tribulations sans nombre, ils gagneront
l'Afrique du Nord, où ils retrouveront leurs régiments, Zinia au Maroc (Midelt) et son mon camarade Chevalier à Sousse (Tunisie).
A la suite de la dissolution du 1er R.E.C. par la commission d'armistice italo-allemande, ils seront stationnés à Oujda où, viendra le rejoindre Chevalier, son compatriote et excellent camarade.
Au courant du mois de février 1941, il décida de déserter pour rallier la France Libre du Général de Gaulle en Angleterre.


Une seconde chance
«Je m'en ouvris à mon camarade Chevalier qui, comme moi, blessé durant la campagne 39/40, ne manifesta pas d'enthousiasme, mais me présenta un autre Suisse, Marcel Duvoisin, bien décidé quant à lui de ne pas moisir inactif dans ce bled alors qu'ailleurs les combats faisaient rage.
Pour réaliser notre évasion, nous devions nous procurer de l'argent afin de louer des vélos aux Arabes. Sans le sou, nous dûmes attendre la paye que nous touchâmes le 28 février. Ce jour-là, mon camarade Chevalier, très cossard de nature, vint me trouver et nous dit : "Je veux bien être du coup avec vous, mais à condition que vous m'en rameniez une (la bicyclette), ce que nous fîmes.»
C'est dans la nuit du 1er au 2 mars 1941, qu'habillés de bleus de mécanicien et munis du plan que leur avait établi un pied-noir, ils franchirent sur le coup de minuit, le mur d'enceinte et les barbelés du camp. Ayant récupéré leurs vélos dissimulés dans un épais fourré, les voilà tous trois en selle pour de nouvelles aventures.
Heureusement pour eux, la nuit était sans lune.
Pour mener à bien leur équipée ils devaient traverser avant l'aube, la plaine de
Bercane, environ 60 km, pour rallier Moulouya dans les environs de Cap Agua.
En cas d’échec. Ils connaissaient parfaitement les risques encourus s'ils étaient pris : 11 balles dans la peau.
Après avoir pédalé un peu plus de 3 heures, voilà que, tout à coup, les trois fugitifs s'aperçoivent qu'ils sont suivis par deux lumières. Imaginez leur trouille. Cela ressemblait à des torches.
La sueur au front, le corps moite, le moral à zéro, ils se mirent à pédaler plus vite, toujours plus fort.
Derrière eux, ces "torches" semblaient les poursuivre, à la même allure.
Persuadés d'être pris en chasse par les Mochrasis (les policiers du désert), ils pédalaient à en perdre haleine, lorsque tout à coup, Chevalier, bon dernier, s'écria : Des feux follets !
Bien des années après, Zinia s'interrogeait encore sur ce phénomène naturel et apprit qu'il était extrêmement fréquent dans cette plaine de Bercane où les émanations de méthane sont nombreuses en certaines périodes de l'année.
Mais nos trois évadés n'étaient pas au bout de leurs peines.
Après avoir hésité à l'embranchement de pistes non dessinées sur le plan succinct dont ils disposaient, ayant aussi demandé leur route à des indigènes, malgré les risques de dénonciation que cela comportait, ils parvinrent sains et saufs sur les rives de la Mouloudgia.
Or, en cette saison de l'année, cet oued aurait dû, selon les renseignements fournis, se trouver à son étiage le plus bas et facile à traverser à pied sec.
Mais voilà qu'ils découvraient soudain une rivière aux eaux tumultueuses, qu’il était impossible de passer à gué.
Et pour comble d'ironie, leur camarade Duvoisin, un athlète, un colosse, leur avoua qu'il ne savait pas nager. Que faire ?
Pas question de l'abandonner à ce moment-là.
Une idée un peu folle
Il faut dire que Zinia n'est jamais à court d'idées.
Cette idée ingénieuse consistait à démonter les roues de leurs bicyclettes, d’en retirer les chambres à air de leurs jantes après les avoir dégonflées, puis les regonfler pour servir de "bouées" à leur ami.
Ainsi fut fait.
Zinia et Chevalier remorquèrent leur camarade Duvoisin, ainsi saucissonné dans ses boudins à travers le cours d'eau en crue. Ils parvinrent ainsi tous 3, tant bien que mal, mais plutôt bien que mal, à bon port.
L'autre rive se trouvant en terre espagnole, ils ne risquaient certes plus le peloton d'exécution, mais leurs tribulations n'en étaient pas terminées pour autant.
Car à peine Zinia et ses camarades eurent-ils aspiré à pleins poumons l’air enivrant de la liberté qu'ils étaient interceptés par la Guardia Civil dont les sbires n'avaient pas la réputation d'être des tendres.

Zinia Rolando (2005)
Mes onze prisons espagnoles
Sitôt après avoir traversé la Moulouya, traînant notre camarade Duvoisin sur les chambres à air de nos bicyclettes, à peine le pied posé sur la rive du Maroc espagnol, nous apercevons sur la rive que nous venions de quitter juste à temps, les Mocrasni (orthographe à vérifier) faisant de grands gestes pour nous faire revenir.
Gestes auxquels, vous vous en doutez, nous répondons par un bras d'honneur.
Un peu plus tard nous sommes appréhendés par un policier espagnol qui nous remet entre les mains d'un caporal armé d'un vieux fusil chargé de nous convoyer jusqu'à Zaïo, bourgade distante d'une bonne quinzaine de kilomètres.
Nous voilà dans le bureau d'un minuscule PC aux murs crasseux sur lequel nous voyons en bonne place le portrait officiel de Franco entre le portrait d'Hitler et celui de Mussolini.
Nous y sommes interrogés par un capitaine aux yeux chafouin et à la voix de bouledogue. Après avoir décliné nos identités, nos adresses en Suisse, nous lui demandons d'être rapatriés, à quoi il nous répond : "Magnana !" (demain).
Durant des semaines, nous recevrons la même réponse: "Magnana !", c’est pourquoi "l'Association des Évadés de France par l'Espagne" s'appelle "Magnana".
Ainsi débuta notre périple. Le soir même nous couchons à même le sol dans un local de la Préfecture de Méllila.
Le lendemain, menottés comme des criminels, on nous embarque pour l'Espagne sur un vieux raffiot. Une tempête sévère secouait la Méditerranée et nous rendit tous malades car, le ventre vide, nous succombons au mal de mer et dégueulons tripes et boyaux.


Portraits de 2 diplomates suisses
Portrait de 2 diplomates suisses, rencontrés en 1941 durant notre séjour dans les prisons espagnoles.
À la geôle de Cordoba nous rencontrons un sympathique détenu, un Espagnol qui a fait des études à Lausanne et au Polytechnicum de Zürich et parle assez bien le français.
Intrigué par la présence de Suisses dans une prison espagnole, il nous demanda ce qui nous avait amenés là.
Nous lui avons expliqué notre situation. Il nous dit: Pourquoi n'écrivez-vous pas à votre Consul. Le plus proche est celui de Séville.
Nous lui répondons que privés de stylo et de papier cela nous semble difficile.
Gratte-papier au service du directeur de la prison – il en avait pris pour 20 ans – il nous propose de nous en fournir.
Sa position lui permet aussi de faire sortir sans risque notre courrier de l'établissement pénitentiaire.
Toutefois, après plusieurs semaines d'attente, ne voyant toujours rien venir, nous voilà transférés à l'Alcazar de San Juan, puis à la prison de la Puerta del Sol à Madrid.
C'est là, que, quarante jours après avoir adressé notre lettre au consul de Séville comme nous aurions jeté une bouteille à la mer, nous voyons surgir dans la patio de la prison, un grand "stofiffre" bien de chez nous, venu nous rendre visite.
Il faut dire, qu'ici comme dans les autres prisons espagnoles, régnait alors le plus parfait bordel.
Politiques et droits communs cohabitaient plutôt mal que bien dans une promiscuité anarchique.
Tenant à la main une "poche" ou un "cornet" comme on dit en pays vaudois, vêtu d'un imperméable malgré la chaleur, le représentant suisse nous parle avec un fort accent alémanique.
La Légation suisse de Madrid ayant reçu communication de notre lettre adressée au consul de Séville, il nous dit que l'on va s'occuper de notre rapatriement. En attendant, dans le fameux "cornet", il nous apporte un peu de tabac, du tabac provenant sans doute des mégots dépiautés recueillis à la Légation suisse de Madrid, et rien d'autre!
Sur ces entrefaites, sans autres nouvelles ou visites de la Légation suisse à Madrid, nous sommes transférés une fois de plus, menottés et sous escorte, vers une autre prison.


Bilbao
Arrivés à Bilbao, au Pays basque, le 7 juillet 1941, nous recevons aussitôt la visite du Consul de Suisse, un sympathique valaisan, jovial et bien enrobé, qui, tout en fumant un gros cigare, attaque:
«Allons, les petits gars, avouez que vous allez rejoindre le Général de Gaulle?»
Ben qu'un peu interloqué sur le moment, je lui réponds sans hésiter, en tant que porte-parole de notre groupe.
– N'ayant pas accepté la défaite, c'est en effet notre but.
Il nous dit tout simplement: «Bravo!» et il ajoute:
«Vous avez de la chance de ne pas avoir fait cet aveu à mon collègue de Madrid. Nous ne partageons pas les mêmes idées. Lui serait plutôt pro-hitlérien.
Ma fonction de Consul de Suisse est de vous rapatrier vers la Suisse via Gênes, je vais donc vous faire embarquer sur un cargo battant pavillon suisse, armé par les Espagnols.
Il passera dans les huit jours. (La Suisse, sans frontières maritimes, possède cependant une marine marchande de haute mer !).
Le cargo sera obligatoirement arraisonné et contrôlé par les Anglais à Gibraltar. Là, ce sera à vous de jouer et de vous débrouiller.
En attendant, je vais vous faire porter à chaque repas le plat du jour d'un très bon restaurant de la ville.»
Après des semaines de privations, cette nourriture trop abondante et trop riche nous valut quelques embarras gastriques. Elle perturba notamment l'estomac rétréci de notre camarade Duvoisin. Ce goinfre ne parvenait pas à se modérer et, régulièrement, après chaque repas, cela ne passait pas et il se mettait à "dégobiller"!
Le cargo "Viscaya" arrive le 17 juillet et nous embarquons aussitôt à son bord.
Le capitaine ne souhaitant pas nous laisser inactifs durant la traversée nous met à contribution.
Munis d'un petit marteau spécial et d'une brosse métallique, nous voilà accroupis à "piquer" la rouille accumulée sur certaines parties du navire et gagnerons ainsi durement notre nourriture à la table de l’équipage. 


Gibraltar
Arraisonnés comme prévu par un bâtiment anglais, nous sommes tous invités à monter sur le pont durant la fouille du navire.
Dès que je vois les officiers britanniques à notre bord, je romps le rang et me précipite au-devant d'eux pour leur manifester notre intention de rejoindre les Forces Françaises Libres.
L'officier nous confie à un quartier-maître qui nous accompagne vers la coupée.
C'est ainsi que nous quittons le "Viscaya", à la barbe du pacha, qui sûrement ne comprend pas que des citoyens suisses puissent choisir d'aller guerroyer de par le monde plutôt que de regagner leur patrie restée neutre.
Nous voilà donc enfin en territoire britannique où les FFL maintiennent un détachement permanent.
Sitôt à terre, Duvoisin apercevant un mégot sur le quai se baisse pour le ramasser. Le policier anglais lui tape sur les doigts et lui donne un paquet de cigarettes tout neuf.
Quelques jours plus tard, le 7 août, nous embarquons sur le "Pasteur", un bâtiment de la F.N.F.L.


En route pour l'Angleterre
Le "Pasteur", escorté par le croiseur "Rinow" et 4 destroyers de la Royal Navy passe le détroit et gagne l'Atlantique. Il fait plutôt beau mais nous avons hâte de retrouver la terre ferme.
C'est à bord de ce navire que nous attrapons la "bourbouille", une sorte de gale dont les Anglais nous débarrasseront par un traitement de choc. Ils nous vaporisèrent sur la peau un liquide brûlant dont la redoutable efficacité thérapeutique avait un effet secondaire immédiat sur la peau de nos couilles qui partait d'un seul coup en lambeaux.
En mer nous aidons l'équipage à entretenir le pont propre et participons à différentes corvées d'intendance.
Nous débarquons à Grinock le 12 août, sommes transférés à Londres le 15, et comme tous les étrangers, nous passons par la "Patriotic School", austère château de la campagne anglaise propriété du Service de Contre-espionnage.
Nous y séjournons plus longuement que prévu, car notre camarade Duvoisin ayant bêtement dissimulé son lieu de naissance: Düsseldorf, les Anglais font une enquête approfondie, ce qui faillit nous brouiller.
Duvoisin était persuadé que c'était nous qui l'avions trahi alors que nous ignorions totalement qu'il fût né en Allemagne. J'ai dû aller voir l'officier de l'I.S. pour qu'il explique à notre camarade que nous n'y étions pour rien.


Engagement dans les FFL
Le 25 août 1941, nous signons notre engagement dans les F.F.L.
Le 27, nous arrivons à l'Old'er Camp de Camberley dans le Surrey, camp des F.F.L resté célèbre dans nos mémoires, où nous commençons l'entraînement.
D'abord sur de vieilles chenillettes Renault puis à bord d'un char léger qui nous avait été offert par la ville canadienne de Sashkatoon.
La marraine de notre escadron est la belle actrice Linda Darnel, que nous n'aurons pas le plaisir de voir avant notre départ pour le front mais nous envoie sa photo, des cigarettes et du chocolat.
Durant nos permissions, nous effectuons des descentes en auto-stop sur Londres, à une cinquantaine de milles de notre camp.
Ces expéditions nous valent de pittoresques rencontres avec des Anglais, toujours très sympas à notre égard.
Fin septembre 1941 arrivent les 180 évadés d'Allemagne par la Russie soviétique conduits par le capitaine (futur général) Billotte. Et parmi les évadés se trouve le lieutenant de Boissieu et le lieutenant Branet, nommés capitaines à leur arrivée.
Sous le commandement du capitaine Branet sera formé l'Escadron mixte (chars et motos) qui deviendra à notre arrivée au Maroc après les campagnes de Libye et de Tunisie, la 3e compagnie du 501 RCC de la Division Leclerc.
En Angleterre, nous menons une vie assez agréable avec de fréquentes permissions que nous meublons de mémorables descentes à Londres et des permissions de convalescence dans des familles anglaises.
En fait nous n'avions encore jamais été sur le front, mais l'entraînement dans des champs de mines réelles laissait parfois des séquelles.
Nous effectuerons aux côtés des Canadiens du Ier Hussard de Montréal de nombreux stages à l'école des chars de Bowington et à Hove.


Mon ami Roland Barbeau
Au service de la France Libre, j'ai connu quelques aventures amusantes. En voici une vécue en compagnie de mon camarade Roland Barbeau.
Arrivé à Londres le 8 août 1941 je rencontre au cours du même mois Jo Longman, qui deviendra le manager de Cerdan. Il sera notre voisin de chambrée à Barns.
Roland Barbeau, un ancien du 27 BCA, blessé à Narvik, aura une bonne planque comme chauffeur particulier au Service auxiliaire. Il aura pour mission de conduire de haut gradés dans de belles voitures, notamment l'amiral Ortoli et quelques autres huiles.
Il a pour petite amie une AFAT qui comme toutes les AFAT réside à la caserne française située au 69 Enismore Garden (sic), surnommée "Le corps féminin français".
Or, pour rejoindre sa petite amie au sein même de la caserne, mon ami Barbeau a trouvé un moyen original: c'est le monte-charge. Mais il se trouve qu’un jour il s'y fait tout bêtement coincer par l'adjudant-chef de quartier, en fait une adjudante. Ne manquant pas d'humour, elle lui colle huit jours de prison avec pour motif:
"Huit jours de prison à Roland Barbeau pour s'être introduit dans le corps féminin par des voies détournées."
Barbeau, que son activité privilégiée au service de hauts gradés protège des misères infligées aux moins chanceux, ne fera pas ses huit jours de tôle.


Campagne de Lybie – Débarquement
Libération
Sur ces entrefaites, nous partons en convoi pour la Libye à bord du « Monarch of Bermuda", en contournant l'Afrique via Freetown et le Cap, la Méditerranée étant impraticable à cause des sous-marins italiens.
Nous effectuons au pas de charge la Campagne victorieuse de Libye, puis celle de Tunisie. Parvenus à Rabat puis à Casablanca, après avoir traversé l’Algérie, nous rembarquons pour l'Angleterre.
Et nous voilà prêts pour le débarquement du 6 août, la prise de Sainte-Mère-l’Église.
À bord de nos blindés nous fonçons sur Arromanche, Alençon, et Paris. Puis après avoir libéré Strasbourg nous achevons notre épopée victorieuse à Berchtesgaden.


Deux jours de perm à Paris.
Or, durant ce périple, nous avions fait une pose de 8 jours en Lorraine, avant l'attaque de Baccarat, et mon capitaine m'avait, envoyé à Rueil-Malmaison avec un ordre de mission en règle pour chercher et embarquer du matériel militaire. Comme gratification, deux jours de permission à Paris.
Paris, je ne le connaissais pas vraiment bien que j'eusse participé à sa Libération. Un jour, ayant besoin de me faire couper les tifs, j'avise un salon de coiffure, rue de Grenelle, comportant comme c'était souvent le cas à l'époque, deux rangées de fauteuils qui se tournaient le dos, face à de grandes glaces.
À peine assis, j'entends :
– Rolando ! Rolando !
Devinez ma surprise, moi qui ne connaissais personne dans la capitale hormis quelques brèves rencontres faites à la Libération. L'appel émanait d'un fauteuil proche du mien mais me tournant le dos.
Je reconnus mon camarade Barbeau. Quelle surprise, quelle joie de le revoir ici par hasard. (Toujours ce merveilleux hasard, chemin détourné que, selon Einstein, Dieu emprunte pour passer incognito!)
Nous allons boire un coup au premier bistrot venu et là je demande à mon camarade comment il se trouvait là. Il me raconte alors qu'il avait l'honneur d'être le chauffeur particulier du général Koenig, gouverneur militaire de Paris.
«Nous étions plusieurs candidats sur la liste, mais quand Koenig a découvert dans mon livret matricule le motif:
Huit jours de prison à Roland Barbeau pour s'être introduit dans le corps féminin par des voies détournées, il m'a choisi, gardant toujours à portée de sa main mon livret matricule pour l'exhiber à ses visiteurs.»
Après la guerre, nous nous sommes retrouvés deux ou trois fois. La dernière fois, Roland était videur alors dans une boîte de Montparnasse: La Boule noire. Puis nous nous sommes perdus de vue.

J'ai vainement recherché Barbeau depuis, je ne sais pas ce qu'il est devenu. Si quelqu'un le connaît qu'il lui dise que Zinia aimerait le voir avant de tirer sa révérence !

Second front
C'est, je crois, durant le le mois de décembre 42 qu'une grande campagne fut lancée en Angleterre pour l'ouverture d'un Second Front destiné à soulager l’armée soviétique de la pression allemande.
Avec son bagout habituel, notre camarade Nudd-Mitchell parvint à décider 11 d'entre nous à nous inscrire comme volontaires auprès de l'ambassade soviétique de Londres.
Quant je repense à tout cela, c'est dingue. Notre vie ne tient qu'à un fil !
Fort heureusement pour nous, le 12 mars, l'Escadron mixte (Branet) embarqua pour venir en renfort à la Ière D.F.L. en Égypte et nous voilà privés de Russie…

Nuits londoniennes
Fin 1942, un soir que nous traînions dans Soho avec Jack Nudd Mitchell, surnommé le "Gros Nudol", mon ami dresse l'oreille.
De père anglais et de mère jurassienne suisse, parfaitement bilingue il entend deux Américains se lamenter sur leur sort. Ils clamaient haut et fort qu’ils s'emmerdaient dans ce pays de merde. (Nudel était celui-là même qui nous avait engagés comme volontaires pour le front de l'est).
Jack les accoste et leur propose de les emmener dans un club français de Londres, le "Maréchal Foch", que nous fréquentions lorsque nous disposions de quelqu'argent.
(J'ai encore dans mes archives la carte d'accès à cet établissement).
Mais il les prévient : «Mon camarade et moi nous sommes fauchés, or la règle du club est que les invités (c'était très strict), n'ont absolument pas le droit de payer.»
– Pas de problème, disent nos deux Ricains, nous on a du fric, on payera pour vous. Et nous voilà en route pour le Marchal Foch, nos deux financiers donnant leur nom et comme convenu nous émargeons au registre d'entrée.
L'ambiance est chaude. Il y a là un petit orchestre composé de matafs bénévoles.
Nous nous installons au bar. Les bières et les whiskies défilent. Les Ricains sont satisfaits. Heureux ils nous refilent les billets de banque et nous payons comme convenu, gardant la monnaie.
Sur le coup de minuit, plus de Ricains. Ils se sont certainement évanouis en emmenant des Nanas. Nous restons donc seuls devant quelques bières que nous jetons allègrement dans nos fouilles avant de quitter l'établissement.


Bagarre
C'est l'époque du Blitz, et les rues sont noires. Nous décapsulons une dernière bière sur un pare-choc de voiture et décidons d'aller coucher dans un WMCA, dortoirs pour militaires, le plus proche étant celui situé dans les environs de Westminster. Mais il est complet.
Devant la porte stationne un immense Écossais flanqué d'une nana à qui le "gros Nudel" pourtant très correct à l'état normal se met à faire du gringue.
L'Écossais prend mal la chose et ça tourne vite à la bagarre.
J'avais à la main un falot-tempête chouravé dans la rue au cours de ma profonde saoulographie. Ces falots étaient déposés par la municipalité sur le lieu des immeubles bombardés. Je n'hésitai pas et, pour secourir mon copain, je balance le luminaire sur l'Écossais dont le pantalon s'enflamme aussitôt. Nous bondissons sur lui pour l'éteindre.
Étant tous les quatre à la recherche d'un lieu pour dormir, nous nous engouffrons dans Sheilter (abri souterrain) et, au matin, nous nous séparons tous bons amis, après une excellente tasse de thé.
Au prochain N° je vous conterai peut-être une autre historiette : Le coup où une estafette de l'état-major anglais nous apporta un télégramme provenant de deux filles nous donnant rendez-vous à l'Astoria dancing.
Coup de colère de notre capitaine. (J'ai gardé ce télégramme)

récit recueilli par Marc Schweizer




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