dimanche 18 décembre 2016

20) TOME 3 - LE STAKHANOVISTE DE L'UNDERWOOD




Pour  que l´on ne t’oublie pas…



Compilé tel quel sans aucune correction n’y modification, par Blaise Le Wenk durant les années  2015-2016, d’après les sites web : “ Une vie sans importance - Souvenir d’un inconnu“. Écris par lui même, XXX ?? alias Marino Zermac, Pierre Genève, Marc Schweizer ) :   http://www.apophtegme.com









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Pentecôte -1999
Sadège au Vieux-Moulin
Nous voici, pour Pentecôte 1999, au carrefour de la Faisanderie, en forêt de Compiègne. Je travaille sur mon premier Mac, une émouvante relique, une pièce de musée. Je me souviens, il y a bien longtemps. Nous étions venus à Vieux-Moulin avec Lise.
Elle avait une amie un peu folle qui portait à ravir le curieux prénom de Sadège. Elles s'étaient connues au Cours Simon. C'était une grande fille mince, mi-fée, mi-sorcière, qui vivait dans une immense maison à colombages, de style Second-empire normand, sans électricité, sans sanitaires, bref sans confort. Une belle ruine romantique, peuplée de chats errants, de chauve-souris, de personnages bizarres.
Un abbé replet, cultivé et poli, dont on chuchotait qu'il présidait à des messes noires Sahib, un ascétique fakir hindou, adepte de yoga tantrique, dont les femmes raffolaient; Paco, un jeune gitan en cavale, excellent guitariste un peu prestidigitateur et audacieux cambrioleur.
Cette tribu de marginaux vivait sans grands moyens, en autarcie. Ces excentriques consommaient très peu. Ils se nourrissaient de champignons et de baies récoltés dans la forêt, cueillaient des herbes sauvages. Un immense jardin tombé peu à peu à l'abandon, un verger aux arbres fruitiers non traités, leur fournissait des légumes et des fruits sans allure mais d'une saveur exceptionnelle.
Ici l'argent n'avait pas cours. On vivait de troc et de rapines. Quand quelque chose d'essentiel venait à manquer, Paco le Gitan partait en expédition et revenait lesté du nécessaire. Parfois l'abbé Ramon partait au volant de la vieille Hotchkiss du domaine pour une célébration mystérieuse en quelque demeure lointaine.
J'allais oublier Perry. Un être d'une laideur épouvantable, difforme et sans âge. Un gnome. Il ne parlait pas, il ne lisait pas et ne savait pas écrire. Un garçon simple et touchant, aux yeux magnifiques, vifs, débordant de gentillesse et d'instinct.
Sadège prétendait l'avoir trouvé errant en haillons sur une décharge publique près de Marseille.
Craignant, si elle signalait son existence à la DASS, que les autorités compétentes ne l'enferment dans un de leurs bagnes aseptisés pour enfants, la jeune femme l'avait ramené chez elle où il vivait en sauvageon.
Le dimanche, surgissait parfois à l'improviste, dans le parc, un homme banal, au visage taciturne et sans âge, venu de nulle part, que Sadège accueillait avec ferveur, embrassait avec fougue, lui parlant dans une langue à la fois rude et chantante.








C'était Fikret, le peintre clochard de la rue Mazarine que j'avais présenté à Pauc puis à Louis Lhermine. Lors de notre première rencontre surprise à Vieux- Moulin, il fit semblant de ne pas me reconnaître.






Il faut dire qu'ici, auprès de son amie, il n'était plus du tout le même homme.
Plus rien du rapin bohême de Saint-Germain-des-Prés.
Dès son arrivée à Vieux-Moulin, Fikret peignait et dessinait avec une virtuosité sans pareille, sur n'importe quel support, papier d'emballage, planchettes de bois rugueux, vieux cartons... des crobards et des esquisses admirables de naïveté spontanée, de fraîcheur maladroite.
Crayons de couleur, pastels, fusains, boîtes d'aquarelles d'enfant, tubes de gouache, terre, plâtre, feuilles, fleurs et fruits écrasés, tout lui servait à exprimer sa fabuleuse richesse intérieure.

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Fikret Moualla
Moualla passa un dimanche à repeindre les parois grises d'une pièce qui servait de débarras, en compagnie de quatre bouteilles de vin rouge. En quelques heures, il transforma cette chambre, des murs au plafond, en une extraordinaire "Chapelle Sixtine" naïve et gaie, en trompe-l'oeil, qui nous laissa béats d'admiration.
Le vieux peintre taciturne repartait de Vieux-Moulin sans bruit, comme il était venu, à pied, à travers bois, sans emporter ses dessins ou ses gouaches, pour rejoindre quelque gare lointaine.
Ces personnes venues d'horizons très divers, s'adonnaient à des travaux bizarres, se livraient à des cérémonies étranges, jouissaient de plaisirs à part. Lise et moi vivions au milieu d'eux comme des explorateurs de la forêt amazonienne au contact d'une peuplade indienne primitive. En observateurs.
Lise avait connu Nadège au Cours Simon où elles s'initiaient au théâtre. Cette fille étrange, que ce petit monde appelait Sadège, était d'une minceur effrayante mais qui convenait parfaitement à son type. Une chevelure longue et flamboyante encadrait un visage de félin aux yeux pailletés d'or. Tantôt rousse - au soleil - et aile de corbeau - dès la nuit tombée, ses cheveux magnifiques se déroulaient en fines vagues jusqu'à une taille si fine que les longues mains de Sahib pouvaient en faire le tour.
Nous ne l'avons jamais vue manger. On disait dans son entourage, qu'elle se nourrissait de soleil, d'eau de source et de l'air de la forêt. Dès qu'elle se rendait en ville, elle suffoquait comme un poisson hors de l'eau et dépérissait.
Pour se fortifier, Sadège prenait des bains de lune.
Sa conversation était aussi étrange que son apparence et son comportement.
Elle portait sur des poètes inconnus, la spiritualité orientale, les gnostiques, sur l'être et le non-être, dans un langage ésotérique dont les mots les plus communs n'avaient pas le même sens dans sa bouche que dans la nôtre. Sadège parlait aux animaux de la forêt, aux arbres, aux fleurs, aux étoiles.
Le moindre insecte était sous sa protection. Elle ne mangeait pas de viande, ne tuait ni araignées ni moustiques. Elle demandait pardon aux fruits qu'elle cueillait.
Parfois, Paco le gitan prenait sa guitare, Sahib un tambourin, et c'était la fête.
Sadège dansait, nue sous un voile transparent. Elle dansait durant des heures sans se lasser, sans nous lasser. Elle était très belle.
Au cours de certaines nuits, elle avait rendez-vous avec les animaux de la forêt avec qui elle tenait de longs conciliabules.
L'abbé me dit un jour qu'à la Saint-Jean Sadège tenait chapitre dans une clairière avec un loup venu de Transylvanie.
La jeune femme savait instinctivement tout de la nature des plantes et de leurs vertus. Un portrait de sainte Hildegarde de Bingen figurait face à son lit.
Les plantes reines dont elle faisait abondante cueillette étaient d'abord Sa Majesté l'ortie, Monseigneur plantain, la comtesse Pissenlit, le bouton d'or, la sauge, l'écorce de chêne, la violette des bois, le bourgeon de sapin, la digitale et le saule blanc.
Dans un coin du parc poussaient aussi le chanvre et le pavot. Elle connaissait chaque végétal par son nom latin et un autre nom bien à elle, dont on ne trouvait mention dans aucun livre. A Vieux-Moulin, nous vivions dans un autre monde.
Je me demandais le rôle que jouait Don Ramon, dans cette communauté à part. Homme séduisant, toujours vêtu d'une impeccable soutane sortant de la meilleure maison pour ecclésiastiques de St-Sulpice, chaussures de chevreau parfaitement cirées, il lisait quotidiennement son bréviaire en égrenant son chapelet.
Pourquoi, dès lors, traînait-il derrière lui cette renommée sulfureuse issue de je ne sais quelle médisance. Je n'ai jamais pu déterminer d'où venait cette réputation suspecte.
Le brave abbé n'avait pas du tout le type d'un prêtre dévoyé disant la messe à rebours, sur un autel ensanglanté et devant un crucifix ignominieusement retourné.
D'où venait cette légende ?
Quelques mois plus tard, je rencontrai le père Le Tonquédec, exorciste du diocèse de Paris. J'en obtins quelques lumières sur cette étrange épidémie de satanistes pervers dont les cérémonies impies attiraient de plus en plus de bourgeoises refoulées en mal de sensations fortes.
Selon l'exorciste, les messes noires accompagnées de sacrifice réel étaient très rares. Le plus souvent, il s'agissait de simples simulacres, de parodies, d'immolation de foetus humains fournis par des "faiseuses d'anges" ou d'un vulgaire sacrifice de poulet.
Quant aux hosties profanées qui faisaient elles aussi l'objet d'un trafic sordide, mais davantage pour l'épate que par authentique vocation satanique, le Père affirmait qu'il existait des commandos pour les récupérer des mains des impies.
Lorsque je parlai de ma rencontre avec le singulier abbé, Le Tonquédec sourit et me dit simplement.
- Don Ramon est un saint homme. C'est un espion de Dieu... Or, soit la réputation sulfureuse de l'abbé Ramon faisait partie d'une cabale, soit il cachait bien son jeu.
Un jour, à Vieux-Moulin, nous avons parlé de la foi. Je lui dis l'avoir perdue dans les circonstances curieuses racontées plus haut, dont je lui fis part.
Il m'écouta avec une sereine bienveillance. A la fin de mon récit, il me dit « Votre foi vous reviendra, jeune homme, plus vive, plus solide et plus fervente. Dieu souhaite pour vous une voie de traverse, il vous a tracé un chemin dans les marécages et les broussailles où vous connaîtrez des heures difficiles et assisterez à des scènes atroces. Le Seigneur vous envoie en explorateur, j'ai bien connu cela...
Il ne m'en dit pas davantage. Je n'osai l'interroger plus avant. Mais ces simples mots et les paroles de l'exorciste me mirent l'eau à la bouche.
Une nuit, Lise et moi fûmes réveillés par l'orage. Un orage grandiose avec un ciel embrasé d'éclairs fulgurants et un tonnerre d'apocalypse.
Nous dormions nus et c'est nus que nous sommes allés assister au magnifique spectacle de la nature.
Sur la pelouse montée en herbe devant la vieille demeure, nous vîmes Sadège danser sous la pluie accompagnée par Sahib et Paco.
Soudain, sans nous être concertés; Lise et moi fûmes saisis par le démon de la fantaisie qui rôdait dans les parages et nous courûmes nous aussi danser sur la pelouse avant d'y faire l'amour.
Ce fut une nuit faste, une impression rare de plénitude et de folie. Lorsque Perry apparut à son tour devant l'immense bâtiment délabré, vêtu d'une étrange défroque, la scène devint burlesque.
A un moment donné, je levai les yeux vers la façade blafarde et crus voir derrière une fenêtre, l'abbé Ramon lisant son bréviaire à la lueur d'une bougie.
Un peu plus tard, Sadège et Perry coururent vers l'étang où ils plongèrent faisant taire le concert de rossignols et de grenouilles. Perry ni Sadège ne savaient nager. Ils allaient se noyer, lorsque conscients du drame qui se jouait sous nos yeux, j'aidais Lise excellente nageuse à les ramener sur la berge. Nous avons vécu bien d'autres événements curieux durant nos séjours à Vieux-Moulin.
Ainsi, un soir, en allant nous coucher, nous assistons à un spectacle étrange Sadège offrant son corps magnifique aux désirs de Perry, le nain au membre prodigieux. Pétrifiés devant cette scène pathétique, nous demeurons à jouer les voyeurs jusqu'au bout. Lise et moi avons connu d'autres "monstres". C'est à croire que nous les collectionnions.



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André Héléna

André était originaire de Leucate. Je l'avais croisé au cours de mes tournées bistrotières en compagnie de Jacques Yonnet. Un halo de légende entourait ce personnage haut en couleurs, franc buveur et peloteur. On disait qu'il était l'ami des seigneurs de la pègre, qu'il se promenait toujours "enfouraillé". Qu'il en savait long...
Maigre, un visage étroit, arborant un de ces grands nez robustes au dessin irrégulier qui faisait le bonheur des caricaturistes, André Héléna était un écrivain d’un talent immense. Il avait le sens inné du mot juste, de l'image exacte, du dialogue percutant.
Comme beaucoup d'autres jeunes littérateurs son ambition juvénile avait été rudement contrariée par la réalité. A dix-huit ans il se rêva poète, romancier célèbre, prix Goncourt, membre de l'Académie. Il écrivit quelques beaux poèmes éditées à compte d'auteur, des nouvelles percutantes qu'il publia dans des revues confidentielles avant de monter faire fortune à Paris.
C'était la douce époque d'avant-guerre où Paris était le centre du monde.
Comme tout jeune bourgeois qui se respecte il prit le parti de l'utopie contre le réalisme, milita avec les socialistes romantiques contre les vilains fascistes. Avec les anarchistes contre les Staliniens. Et en ce temps-là les républicains espagnols représentaient l'idéal de la gauche universelle.
André écrivait avec facilité. Comme il ne réussit pas dans la grande littérature, qu'il devait survivre, il se lança dans le roman noir dont la mode avait été lancée par la Série Noire. Il y excella et publia dans de petites collections de troisième ordre, plusieurs dizaines d'excellents romans qui lui furent payés chichement.
Son principal handicap était de n'avoir pas un sou devant lui permettant de publier son oeuvre chez un grand éditeur. Il déposa bien sûr des manuscrits chez Gallimard, à l'intention de Duhamel. Mais il n'avait jamais le temps d'attendre la réponse qui tardait à venir. Il lui fallait "croûter".
Aussi acceptait-il les petites avances de 100 ou 200 francs que lui allouaient des éditeurs de dix-septième ordre, aumônes qui lui permettaient de tenir trois jours ou une semaine. Parfois, mais trop tard, il recevait une réponse favorable, trop tard pour lui, le roman avait paru...
Il arrivait ainsi qu'André commençât cinq ou six romans différents pour toucher un acompte au vu des dix premières pages.
Il passait aussi beaucoup de temps en pourparlers avec des producteurs de cinéma. Car le cinéma c'était alors le Far West et la réalisation d'un film à succès l'Eldorado pour l'auteur.
Mais, dans ce domaine, André connut peu de réussite. Avant de rencontrer Marthe, André vivait en bohême fauché. Changeant de soupente au gré de ses amours ou de son impécuniosité, il déménageait souvent, à la cloche de bois.
Marthe, une jolie femme simple et sérieuse, aimante, élégante, active fut pour
André à la fois une chance et un frein.
Une chance, car si Marthe n'était point riche, elle travaillait et lui apporta un point d'ancrage. Un intérieur bien tenu, une sécurité par son salaire, une vie plus rangée, plus réglée, mais également un frein à ses virées bistrotières. Désormais André était vêtu en "bourge" et mangeait à sa faim. Il buvait toujours autant, mais en cachette, lorsque Marthe était à son travail. Car c'était le plus souvent elle qui faisait bouillir la marmite, comme chez les Yonnet, c'était Titine qui fournissait l'intendance.
André Héléna fut redécouvert dans les années 90 par une génération jeune, avide de romans vrais, de littérature franche, roborative et non de ces pensums insipides publiés par les marchands de soupe qui avaient envahi et perverti l'édition.
Un de ces jeunes éditeurs me demanda une préface, comme il en demanda à tous ses vieux amis.
Voilà ce que je pondis :
«Une préface à un de mes bouquins ? Il en eût fait des gorges chaudes. Tu te fous de moi ! Déconne si tu veux, mais en attendant allons boire un verre de jaja“.
Ce fut par une nuit des années cinquante que je rencontrai pour la première fois André Héléna. Au Caveau des Halles, un estaminet populaire situé aux alentours de la Bourse de Commerce où fréquentaient poètes, forts des Halles, gourgandines, marlous et porteurs, amateurs de vins honnêtes et de chaude ambiance.
Durant des lustres André habita de modestes chambres d'hôtels meublés, des studios sans confort qu'il quittait le plus souvent contre son gré, vidé par une logeuse impitoyable pour une affaire de gros sous ou qu'il abandonnait de lui-même, par un déménagement furtif à la cloche de bois.
Il avait le vin gai et très peu d'appétit. Mince, toujours vêtu avec une élégance discrète, il arborait un visage austère d'ascète méridional dont le profil au nez impérial venait démentir la face perpétuellement illuminée d'un bon sourire.
Familier avec les femmes, aimant la conversation, les bons mots, le calembour, la compagnie, il était pilier de bistrot comme d'autres le sont de sacristie.
Il avait le vin gai mais l'ivresse rude.
Accompagné de Lise, une jeune actrice amie à qui André fit d'emblée une cour discrète, je débarquai un soir dans cet antre enfumé orné de tonneaux et de barriques, où les vins tirés se servaient au pot, à la fillette ou au pichet.
Ayant pondu quelques timides ouvrages je devais être présenté par André à Messieurs ses éditeurs. Il accepta volontiers de me parrainer dans la république des lettres.
J'entrai de plain-pied dans une tournée de onze degrés d’appellation incontrôlée originaire de Bercy. Elle fut suivie de beaucoup d'autres. Les heures passèrent à boire et à converser, le plus souvent debout devant le zinc. Nous refaisions le monde, les arts, la république. Héléna portait à gauche comme il préférait le vin rouge au blanc, les filles aux garçons, les truands et les marlous aux bourgeois du seizième. Il fréquentait les bars louches, côtoyait les petites frappes, recherchait la compagnie des souteneurs, des malfrats et des putes.
Le lendemain je le revis à jeûne. Il m'invita à l'accompagner chez l'un de ses éditeurs.
Si je me souviens bien ce fut dans une modeste boutique de la Rive Droite, rue des Moulins que je rencontrai pour la première fois un "éditeur". Son éditeur. Cela sentait bon l'encre fraîche, la colle, le tabac et le méchant papier.
M. Dermet officiait là entre des piles de livres populaires, de revues qui ne l'étaient pas moins, littérature de gare et de second rayon.
André me présenta pompeusement, voulant me mettre en valeur, ce qui ne sembla nullement émouvoir ni intéresser M. Dermet.
Pour la petite histoire M.D. s'était entouré d'un magasinier et d'un comptable qui l'assistaient en tout qui apprenaient le métier d'éditeur et la méthode d’exploiter les auteurs avant de voler de leurs propres ailes, l'un à la tête des Editions de l'Arabesque, l'autre du Fleuve Noir.
André tenait les dix feuillets de sa production du jour sous le bras, plaisantant tout en tétant sa pipe, guettant l'instant propice à l'échange de ses pages dactylographiées contre un indispensable billet de "dix sacs".
Dois-je expliquer davantage? Héléna vivait chichement du travail de son Underwood, au jour le jour. Même s'il écrivait vite il ne parvenait guère à achever un roman en son entier avant de se voir contraint, pour subsister, d'en obtenir une avance. Aussi avait-il souvent plusieurs romans en chantier pour des éditeurs différents dont il avait reçu, contre quelques feuillets noircis, une inconfortable aumône. Cela le mettait perpétuellement en retard de production. Obligé d'usiner, de hâter voire de bâcler ses récits, il écrivait contre la montre et à la chaîne. Il lui arriva de pondre quatre romans dans le mois !
Son talent n'en était que plus éclatant. Doué du sens inné du suspense, de la verve populaire, du don d'observation, il y allia un style naturel inimitable et resté inimité.
Je ne voudrais pas médire du talent ni dénigrer les qualités de quelques auteurs présentés depuis des années comme les maîtres du roman noir. Mais il ne serait que justice que l'on reconnût enfin qu'André Héléna fut leur maître à tous.
Ce jour-là, rue des Moulins, André finit par toucher le gros lot. Contre les pages 17 à 32 d'un nouveau roman, M. Dermet condescendit selon son habitude d’éditeur besogneux, à partager avec lui le contenu de son gousset. M.Dermet portait toujours sur lui deux portefeuilles. L'un à gauche bien fourni destiné à ses menus plaisirs mais qu'il prétendait réservé à ses fournisseurs : imprimeur, brocheur, marchand de papier, l'autre, à droite, dont il affirmait que le contenu était tout ce qui lui restait pour vivre jusqu'à la fin du mois. Il y recelait invariablement deux billets de dix mille francs (anciens) qu'il acceptait généreusement de partager avec ses auteurs.
Or ce jour là, sans le faire exprès, il intervertit les deux bourses, dévoilant sous nos yeux écarquillés une liasse insolente de gros billets.
Trop tard pour la dissimuler. Beau joueur M.Dermet. tendit royalement trois billets à André.
Cela rachetait un peu les précédentes démarches infructueuses, les heures d'attente pour peau de balle !
L'irruption de Marthe dans sa vie assagit sa bohême. Elle organisa ses loisirs, géra ses revenus, tria et expurgea ses fréquentations, lui épargnant d’excessives détresses, modérant ses bitures. Marthe ne buvait pas, ne fumait pas. Ce n'était pas une intellectuelle.
André vécut désormais en appartement et dans ses meubles, rue Hérold. Avec sa machine à écrire, sa femme et son chien. Il n'en fut guère plus riche mais Marthe travaillait, se montra économe et prit soin de sa bourse, de sa maison et de sa garde robe.
Sa rencontre avec Ditisheim fit le reste. D'origine suisse Frédéric Ditis publiait avec succès depuis la guerre des centaines de romans policiers à l'enseigne de la Chouette. Il fit confiance à André, lui commanda une série qui, si elle ne fut pas le meilleur de son oeuvre, lui permit à raison de six à dix romans par an de vivre désormais dans une modeste aisance.
Ce qui ne l'empêcha pas, pour se faire discrètement un peu d'argent de poche, d'échapper à la vigilance de Marthe en poursuivant une oeuvre parallèle, publiée sous le manteau. Romans qu'il négociait comme auparavant, avec les mêmes éditeurs de dix-septième ordre, feuillet à feuillet, sac par sac !
Un éditeur peu scrupuleux et pas courageux du tout, commandita une série de romans légers, d'une licence toute méridionale, jouant à cache-cache avec la censure. Ils parurent, à l'enseigne du Lucane sous la responsabilité d'André promu auteur-éditeur, pour un très maigre profit et quelques gros ennuis.
André Héléna était généreux et très bon camarade. Jamais je n'entendis dans sa bouche la moindre critique d'un confrère. Il réservait ses traits acérés aux hommes politiques, aux curés, aux dictateurs.
Originaire de Leucate, petite cité grecque juchée au-dessus de la mer et de l'Etang, il en avait gardé le savoureux accent parfumé d'herbes sauvages et pimenté de rocailles.
Chaque été il y retrouvait avec délices sa mère, son chat et sa vieille maison austère dont les volets ouvraient sur les platanes de la grand-rue. Il y fréquentait Fil de Fer le braconnier, grand pêcheur de loups et collecteur de lapins, Eugène le coiffeur, Sylvère le bistrot et bien d'autres personnages pittoresques dont j'ai oublié le nom.
A Leucate, André Héléna était un notable. Ses romans paraissaient en feuilleton dans les quotidiens de la région, les critiques de la Dépêche de Toulouse ou de l'Indépendant de Perpignan louaient son talent. Cela ne lui montait pas à la tête.
Le matin, comme chacun le faisait naturellement depuis des siècles, il portait son seau à la limite du village, hors des murets de pierre sèche, honorant le maquis environnant royaume des serpents, des cigales et des lézards de ses « impôts" nocturnes. C'était l'heureuse époque où le tout-à-l'égout n'existait guère et où seuls les riches avaient une fosse septique. Les modestes une feuillée, les pauvres le seau à merde ou le caniveau.
André Héléna, peu sportif de nature, considérait les bains de mer comme une gymnastique barbare. Aussi cantonnait-il ses exercices physiques à boire des pastis au Café de la Plage, à deux kilomètres du village. Et la seule eau qu'il tolérait était celle glacée venant troubler l'anisette de son verre.
Là, face à une mer déserte, sans voiles ni planches ou bateaux à moteurs, trois ou quatre cabanons entouraient un petit hôtel. André y picolait paresseusement à la terrasse, à l'abri du soleil, avec ses copains pêcheurs. Une unique villa pour voisine, - c'était le bon temps ! - celle de ce fada de Conseiller général qui ne craignait pas de braver le vent du large et les moustiques, en ayant bâti une magnifique maison au pied de la falaise !
De l'autre côté, jusqu'à Perpignan s'étendait alors une plage de sable déserte de trente kilomètres habitée par les oiseaux de mer, quelques flamands roses et des lézards verts ! Cela aussi a bien changé depuis !
Parmi ses amis du voisinage il y avait Georges Arnaud, instit, qui enseignait alors les rudiments du savoir aux galopins de l'école communale de Fitou, avant de devenir Georges J. Arnaud l'un de nos derniers grands romanciers populaires.
André et sa mère possédaient aux environs quelques lopins de terre, quelques arpents de vignes dont il était très fier. Même si son vin était le plus souvent une accorte piquette c'était son vin et il accompagnait gaiement la kergolade ou le ragoût de loup au four.
Je me souviens d'un été, dans les années cinquante, où André Héléna nous fit visiter son "royaume" de Port La Nouvelle au Perthus, de Collioure à la Valdespine, en passant par Narbonne, Perpignan, Céret et les cabanes de Fitou.
En chemin il nous conta mille anecdotes, les légendes du pays, nous vanta ses vins, ses fruits, ses habitants qui nous traitaient malicieusement de "Parisiens têtes de chiens, Parigots, têtes de veaux !" Le soir venu, une émouvante cobla catalane, perchée sur un balcon de Collioure, tira les mêmes larmes de joie de Marthe-la-Bretonne et d'André, tandis que nous dansions la sardane sur une petite place en compagnie des autres villageois.
Son rêve fut longtemps de voir ses livres portés à l'écran. Il ne le réalisa guère bien que son oeuvre s'y serait admirablement prêtée. Chaque roman d'André Héléna est un film d'atmosphère au décor superbement planté, au dialogue efficace.
André hélas dut passer davantage de temps à tirer de maigres avances de ses éditeurs ou à mettre sur pied avec des cinéastes fantômes d’improbables réalisations qu'à écrire des scenarii.
Un dernier mot sur cette époque révolue. En ce temps-là l'édition dite "populaire" était un Far West. Chaque jour apparaissaient à Paris dix nouveaux éditeurs. Souvent à peine moins miteux, aussi pauvres que les jeunes auteurs qui tentaient leur chance à la loterie du succès avec leur complicité. Des centaines de petites maisons artisanales feuilletonnaient, sous des couvertures incroyables.
Il n'existait ni protection sociale, ni contrats ! L'auteur touchait en général des avances ou un forfait, en espèces, de la main à la main, modestes émoluments où le fisc n'intervenait pas. Des livres étaient pillés, réédités sous de nouvelles couvertures avec des noms d'auteur ou des titres de fantaisie. Le plus souvent sans rallonge. Mais la profession restait ouverte, un débutant avait toutes ses chances. Il existait toujours un éditeur pour publier sa prose.
Cette époque est aujourd'hui révolue. La littérature populaire française bat de l'aile. D'ailleurs, aujourd'hui tout le monde a son bac et ceux qui ne l'ont pas ne lisent pas, ne savent pas lire. Ils zappent ! La culture du transistor, du balladeur et de la téloche, a remplacé la lecture.
André Héléna finit par rejoindre l'écurie du Fleuve Noir créée par Armand de Caro, un des anciens employés de Dermet qu'il tutoyait. Il y retrouva sa place parmi les seigneurs du roman populaire. Il y gagna sa vie mais y perdit peut-être un peu de son âme... La raison? André était un loup solitaire, pas un chien de garde ou d'appartement. Les coups que la vie lui infligeait il les rendait au centuple dans ses livres. Ses rêves brimés ou étouffés il les transposait librement dans son oeuvre. Il avait pris beaucoup de coups. Il n'était pas habitué à préparer des synopsis, à soumettre son travail à un "comité de lecture", à gommer des "outrances", à entrer dans le jeu des directeurs littéraires, à se couler dans un moule préétabli, à expurger des scènes jugées trop lestes.
Mais dans son "malheur" André Héléna eut la chance, au début de sa carrière, de n'être pas bridé dans son élan, de voir ses ouvrages publiés tels quels, par des éditeurs de 17e ordre sans doute, mais qui ne les relisaient même pas !
André Héléna fut un gentleman-romancier comme d'autres sont gentlemen-farmers ou gentlemen-cambrioleurs. Ce fut un seigneur. « Le Loup de la Garrigue.»



Roland Massot
Roland Massot, Catalan et fier de l'être, était un ami d'Espinouze et de Youki.
Assisté de Mlle Sauvagnac, l'expert-comptable de son cabinet, Roland, conseiller juridique célibataire et bohême, dépatouillait gratuitement, toutes les petites tracasseries financières, juridiques et administratives que la bureaucratie et la législation modernes infligent aux pauvres citoyens.
C'était un être profondément généreux et bon, mais excessif en tout. Catalan, originaire du Boulou, Roland Massot était un être entier, farouche, bretteur et d’une immense gentillesse. On pouvait se brouiller avec lui pour un mot. L'éloge flatteur d'un artiste qu'il n'agréait pas le faisait monter comme lait sur le feu. Il aimait à la folie et bafouait à mort.
Espinouze qui avait passé son enfance à Perpignan le connaissait depuis l'école. Il le surnommait le Savonarole du Yin et du Yang. Henri pour qualifier les gens sans les vexer usait de l'expression manichéenne de oui-oui et de glé-glé.
Un jour Roland me traita plus bas que terre, avec toute la roborative impétuosité de sa brusquerie catalane, pour avoir timidement avoué mon admiration pour Picasso.
Massot préférait Dali.
«Picasso c'est une merde, c'est rien du tout, c'est un crétin, un copiste, un plagiaire, un vulgaire et abominable corniaud, un destructeur de formes, un nihiliste. Dali, oui, c'est un grand peintre, un véritable un artiste, un génie.» .
Suivait un panégyrique d'un quart d'heure que venait timidement interrompre Youki, toujours fine mouche, en proposant :
- Mais ce sont tous deux des peintres espagnols, n'est-ce pas ?
Interloqué, Massot réfléchissait avant d'exploser : «Picasso est né à Malaga, c'est un Andalou, Dali est né à Figueiras, c'est un Catalan. L'Andalousie ce sont des Arabes, des Maures, des Bougnouls, des Sauvages, des Gitans, des barbares, des mendiants, des ... La civilisation commence à Barcelone.»
Je retrouvais non sans plaisir ces querelles de clocher, de terroir, que j’avais connues en Suisse, entre Stoffifres et Welches, Genevois et Vaudois, (Genevois, quand je te vois, je vois le diable devant moi).
 Je vivais, comme je l'ai déjà dit, chez l'un, chez l'autre, hébergé, nourri, blanchi par les amis. Gigi m'avait prêté un temps une chambre de bonne rue Delambre, au-dessus du Rosebud, bar à la mode où je croisais Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, sans oser les aborder. Ils me faisaient peur. Pour le jeune homme que j'étais, c'étaient des monstres ! Sartre était très laid. Il louchait abominablement, à faire peur... A Simone, grande jument maigre au visage de Christ crucifié, il manquait une dent. Mais autour de ce couple bizarre papillonnaient de ravissantes étudiantes d'Outre-Atlantique venant quémander des autographes.
Roland Massot, juriste compétent et réputé, ne faisait jamais payer ses amis. Il en avait beaucoup. Il n'était donc pas riche. Il se rattrapait un peu en servant de conseiller et de faire-valoir à des personnages troubles, des tripatouilleurs au petit pied, des promoteurs sans scrupules, des truands des affaires et de la finance qui montaient des spéculations dans tous les domaines juteux.

Lucullus
Ainsi, Massot était le conseil d'un certain Luc, alias Pedro, dit Lucullus ou La Ripaille, un petit être d'apparence insignifiante, un peu mal foutu, tordu, bossu, à la mâchoire carnassière meublé de dents brunes tirant sur le noir.
Originaire du Roussillon, Luc spéculait aux Halles centrales qui s’étendaient alors entre le Châtelet, la Bourse du Commerce et l'Église Saint-Eustache. Son domaine exclusif, c'était la tomate. Luc logeait à l'hôtel comme beaucoup d’autres gens, un hôtel minable certes, mais dont il était le propriétaire. Avec quelques autres membres de sa tribu et quelques informateurs sur place, il tenait le marché des fruits et des légumes en provenance du Sud-Ouest, pouvant à son gré faire grimper les prix au kilo du simple au double en une nuit, en faisant bloquer par des complices quelques wagons de tomates sur une voie de garage où elles pourrissaient au soleil.
Il s'intéressait aussi aux premières cerises dont il était capable d'acheter toute la production disponible pour la revendre au prix fort sans oublier d'en faire porter en primeur, une cagette au Président de la République et au maire de Paris, nouvelle abondamment relatée et commentée par la radio, la presse et les actualités cinématographiques.
Après un de ses "coups" qui pouvait lui rapporter gros, il tenait table ouverte au Pied de Cochon, invitant ses amis, ses complices, quelques jolies ribaudes, des édiles, des policiers, des forts des halles et des truands pour de mémorables agapes qui duraient jusqu'au matin.
Lorsque les Halles ont été transférées à Bercy, il s'est reconverti quelque temps dans la carambouille, art crapuleux de haute voltige qui consiste à revendre au comptant des marchandises achetées à terme et à filer avec l'argent sans régler son fournisseur à l'échéance.
Il parvint ainsi, en quelques mois, à acheter quelques milliers de veaux anglais, qu'il revendait à moitié prix à un intermédiaire grec qui, par un tour de passe-passe les transformait administrativement en veaux d'origine normande...
Était-ce lui, la Ripaille, qui inventa l'incroyable combine qui consistait à faire tourner en rond, à travers l'Europe, des camions pleins de marchandises à forte valeur ajoutée, pour bénéficier des certificats d'exportation qui permettaient de toucher les subventions européennes ?
La Ripaille ne se fit jamais prendre ni par la douane ni par le fisc. Il se fit doubler stupidement par une de ses maîtresses, en qui il avait toute confiance. Elle alla vider jusqu'au dernier lingot et au dernier dollar ses coffres et ses comptes numérotés qu'il possédait en Suisse et dont il lui avait imprudemment confié les codes secrets.

Ciel touristique (1957)
Roland avait parmi ses clients un certain Raymond Courtauld, un homme d'affaires sympathique mais sans scrupules dont le fond de commerce consistait à acheter à bas prix de l'immobilier en déshérence, friches industrielles, pavillons en ruines, immeubles de rapport abandonnés par de petits propriétaires incapables de les réhabiliter. Il les réhabilitait sommairement ces taudis grâce à une équipe d'esclaves algériens dirigés au fouet par un négrier portugais.
Massot échafaudait le montage juridique nécessaire pour que ces opérations tordues apparaissent le plus légales possibles. Roland, brave homme, d’une honnêteté scrupuleuse, avait honte de donner la main à ces spoliations. Mais il devait survivre et ses connaissances juridiques, comptables et fiscales étaient son seul gagne-pain. Il avait son cabinet aux Halles, rue Jean-Jacques Rousseau, près de la Bourse du Commerce.
Un jour, il me dit que son client était en relation d'affaires avec un Nabab, Raoul Pommereau, propriétaire d'une affaire d'alcools et de spiritueux, possédant la Suze et une grosse imprimerie.
Les deux hommes d'affaires étaient en train de se planter avec un projet pharaonique l'édition d'un annuaire publiant en français les horaires des lignes aériennes comme l'incontournable Chaix le faisait pour les chemins-de-fer. Ce genre d'ouvrage existait déjà en anglais. Mais, le jeune homme qui leur avait fait miroiter le projet n'avait pas réussi à le mettre sur pied dans notre langue. Le jour où l’annuaire parut, il était déjà dépassé.
Ne voulant pas perdre la face, Pommereau et Courtauld qui avaient mis beaucoup d'argent dans l'affaire, cherchèrent à sortir de cet imbroglio sans trop perdre la face.
Consulté par Roland, je suggérai de réaliser une revue de Tourisme, axé sur les voyages aéronautiques dont il semblait certain qu'ils allaient se développer.
Courtauld et Pommereau trouvèrent que c'était une bonne idée. Mais comment la mettre sur pied.
Je n'avais personnellement jamais édité d'autre revue que des bulletins ronéotypés et illustrés de gravures sur linoléum...
Massot avait un autre ami, Jean Diwo, sympathique pigiste de Paris-Match, féru d'art, qui voulait devenir écrivain mais qui, pour survivre, écrivait ici et là des articles de commande.
Nous voilà Jean et moi, associés dans cette entreprise.
Avec courage et enthousiasme, nous avons fait réaliser quelques maquettes par Henri Espinouze, puis nous nous sommes attaqués au contenu de la revue.
Échaudés par le naufrage de leur "Horaire", MM Pommereau et Courtault nous dirent simplement:
- Vous êtes jeunes, vous avez des idées, alors faites-nous une bonne revue, nous mettons le papier et l'impression à votre disposition, mais pas question de contrat, de bureaux, de rédaction, de salaires. A vous de vous débrouiller. Nous remettrons dix mille exemplaires de chaque numéro aux NMPP et si la mayonnaise prend, nous vous appointerons convenablement.
En 1957, l'Inde fête les 10 ans de son Indépendance, l'État d'Israël aussi. Nous leur consacrons des numéros fait de bric et de broc, surtout de compilation. Nous n'avons pas de budget pour nous rendre sur place et Courtault qui a négocié avec une compagnie aérienne des billets contre de la pub les garde pour lui.
Pour rendre la revue Ciel Touristique un peu vivante, je vais emprunter de magnifiques photos sur l'Inde rue de Seine à l'Agence ....
Je les publie, sans autorisation, et patatras, ce qui devait arriver, arriva. Louise Weiss à qui appartiennent ces photos me convoque chez elle, dans son magnifique appartement du quai des États-Unis. Sur la revue Ciel Touristique, les photos étaient signées d'un pseudo "della Robbia" autour de l'existence duquel je brodai un conte à dormir debout.
Je ne sais si Louise Weiss me crut, certainement pas, mais nous avons très vite sympathisé et cette éminente suffragette, grande voyageuse, aventurière de l'esprit et femme politique qui acheva sa carrière en doyenne du parlement européen, ne porta pas plainte et, au contraire, me fournit matière à plusieurs articles, me confia des photos inédites et me souhaita bonne chance.
Comme d'habitude je n'entretiendrai pas cette relation.
Jean Diwo qui collaborait à Paris-Match connut son jour de chance en 1960 lorsque Jean Prouvost proposa à son équipe la lancement d'un hebdomadaire de programmes Télé. Au sein de la rédaction, l'une des mieux rémunérée de toute la presse française, nul ne se sentit la tripe suffisamment aventureuse pour aller au devant du casse-pipe probable d'une revue aussi peu prometteuse consacrée uniquement à la télévision, art considéré comme mineur et sans grand avenir.
Jean Diwo qui végétait à la rubrique "Arts", se dévoua et assura à Télé 7 jours, le prodigieux succès que l'on sait. Jean, que je perdis de vue, devint riche et célèbre.
Il roula en Rolls et demeura dans un véritable palais de fonction. Jean Diwo réalisa par la suite, toujours avec le même succès, l'oeuvre littéraire dont il rêvait dans sa jeunesse.
Pour Ciel touristique, le seul numéro réalisé sur le terrain fut celui sur la Belgique, dans le bourbier et les échafaudages de ce qui sera l’Exposition Universelle de 1958.
Cette revue sombra après la parution de quelques numéros. Pourtant, plusieurs rubriques furent reprises par des organes mieux structurés : les bonnes adresses dans chaque ville. Pour cela, j'avais eu la chance de faire la connaissance du rédacteur de la revue Icare qui recueillait pour moi les bonnes adresses des étapes aux quatre coins du monde, que se refilaient de bouche à oreille les équipages.
Une autre bonne ouverture découla de cette aventure. Mais j'en reparlerai.

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Vernissages et cocktails
Si nous vivions beaucoup dans les bistrots, le providence des clochards, des artistes et des gens tombés dans la débine, c'était les cocktails. Il y en avait cent chaque soir, un peu partout, et chacun se donnait le mot. Là il y avait toujours à boire, à manger et à draguer.
Il y avait les habitués, ceux qu'on appelait les hirondelles, qui parvenaient à se faufiler partout. Jean de Beaumont par exemple. Un vieux beau qui sortait d'un film d'avant guerre, avec sa belle tête burinée au-dessus de son col d'un blanc douteux, son sourire au dentier ravageur couronnant son vieux smoking râpé, aux poches luisantes de sauce et de graisse. Car non seulement Jean ne se nourrissait que de saucisses à cocktail, de sandwichs et de petits fours mais il se créait des réserves en fourrant toutes munitions de bouche à même ses poches. Lorsque un quidam s'étonnait, il disait - C'est pour mon chat.
Martial Grandjean de la Tocardière était également un de ces personnages incontournables de la vie parisienne. Il était collectionneur de tout.
Cendriers, briquets, pochettes d'allumettes, couverts chiffrés, cartes de visite. Mais son intérêt le plus vif se portait sur les bouteilles de vin mais surtout sur leurs étiquettes. Il disait :
- Le vin, c'est un liquide, c'est un breuvage, c'est une nourriture. Il n'y a pas d'art du pinard. Mais l'art du vin réside dans le contenant plutôt que dans son contenu. Vous le verrez, jeunes gens, certaines bouteilles et certaines étiquettes à bouteilles vaudront un jour plus cher que le vin qu'elles abritaient.
Et il avait raison... car aujourd'hui, en cette fin de siècle, des collectionneurs payent jusqu'à  dix mille euros une étiquette ancienne.
- Ah ! l'étiquette... Rien que de la voir, je sens monter en moi une volupté sans égale...
La Tocardière collectionnait aussi les femmes. Mais, contrairement à la plupart des hommes qui chassent les jolies filles faciles, il jetait son dévolu sur les moches, les mal fagotées, les mal baisées. Et, contrairement à ce que pense le bon peuple, ce gibier-là, selon lui, était plus difficile à allonger dans sa gibecière que les mignonnes.
Il prétendait que les filles laides, les prudes, les hautaines sont plus amusantes à chasser parce qu'elles résistent mieux mais, qu'une fois prises, elles sont des amoureuses terribles... "Les vilaines sucent, les jolies se font sucer".
Les mauvaises langues disaient évidemment que si La Tocardière courait les filles tocardes, ce n'étaient jamais des moches sans le sou, mais les moches à pèze. Il y avait aussi parmi ces "hirondelles" quelques haridelles bas-bleu, écrivaines pochardes et des chasseresses de minets. Sans compter les "redoutables", comme les appelait Favrel, ces viriles à cheveux courts et à moustaches, qui disputaient les belles aux vieux beaux.
Ce monde étrange ressemblait à un aquarium.
Je m'y suis beaucoup amusé, durant un temps. J'y rencontrai quelques personnages hors du commun. Mais, ce méchant milieu ressemble vite à un marécage ou une étendue de sables mouvants. On est saisi par les pieds et on s’y enlise facilement.

Voyage à Leucate
Un jour de l'été 1958 ou 1959, Roland Massot nous proposa à Lise et à moi de nous emmener en vacances Dans le Roussillon. André Héléna nous ayant invités à Leucate, Roland nous servit de chauffeur.
Je me souviens comme si c'était hier de ce merveilleux voyage en Aronde, en compagnie de notre ami. Roland était un type merveilleux. Célibataire mais aimant les femmes, bon comme le bon pain, excessif comme un Catalan, il poussait des gueulantes terribles pour un rien. Mais il était un ami sûr.
En ce temps-là, la France ne possédait que quelques dizaines de kilomètres d'autoroutes et les voyages étaient longs mais plaisants. Les routes nationales sinueuses, bordées d'arbres agrémentaient le paysage. Les cités n'étaient pas encore ceintes de banlieues immondes, des laides zones industrielles que nous connaissons aujourd'hui.
La France était belle. Un jardin exquis. Une nature point trop polluée avec des rivières à truites et à écrevisses, des champs pleins de perdreaux, de lapins et de lièvres. Quand on traversait une forêt, la nuit tombée, on ne pouvait éviter les blaireaux, les biches, les cerfs, les sangliers, les faisans. Une carte postale romantique.
Je me souviens de la traversée de la Sologne que je voyais pour la première fois et de mes cris de joie à la vue de milliers de girolles parmi la mousse et les feuilles mortes.
Notre étape matinale à Argenton-sur-Creuse reste gravée dans ma mémoire.
Une terrasse ensoleillée, des croissants exquis, un café filtre avec le pot de crème et les cloches de l'église proche.
A chaque "arrêt de la diligence", Roland, très pudique, se retirait dans le sous-bois, hors de la vue des autres automobilistes.
Il n'aimait pas le débraillé et moquait ces frenchies du nord, ces Parisiens têtes de chiens qui se débraguettaient sans vergogne au bord des routes.
Cahors, autre étape, où Roland nous fit déguster une succulente omelette aux morilles et un vin gouleyant.
Lorsque, après une autre escale vers Montauban, Massot se mit à roucouler et à chanter à tue-tête.
- Ah ! mes amis, regardez comme la nature change, comme tout devient beau !
Ici nous entrons dans le midi. A partir d'ici les toits on de vraies tuiles, pas de ces vilaines galettes de carton-pâte. Ici, regardez partout, c'est la joie de vivre. Ah ! Ah !Ah !
Et ce grand et fort gaillard jovial aux cheveux crépus de Sarrazin, aux pommettes orientales, aux yeux d'Espagnol, se lit à danser d'enthousiasme sur son siège.
Lise qui aimait Paris et la Touraine était stupéfaite. Moi, l'helvète, aussi.
Roland, ce garçon si timide, si réservé d'habitude, si professionnel, criant sa joie nous épatait.
Nous avons fait étape à Toulouse. Ville belle à couper le souffle. Cité rose et ocre, à la fois vive et nonchalante, majestueuse et bon enfant.
Roland nous invita dans l'un des meilleurs hôtels de la ville, place du Capitole et demanda à la réception de nous louer des places pour le soir, à l'Opéra.
Dans ce palace, Lise et moi qui n'avions pas emporté de tenue de ville (Lise n'avait emmené qu'une seule robe décente, à rayures vertes, et moi un pantalon moutarde).
Dans la salle à manger, tout le monde était "endimanché".
Mais ici, personne ne nous regarda de travers. Massot qui portait un costume décent et une cravate servait de caution à ses deux compagnons de voyage plus jeunes.
La salle était animée, bruyante et enfumée. Une salle où dominaient les notables du cru, avec quelques trognes enluminées par le bon vin et la bonne chère.
Le soir, à l'Opéra, un véritable bijou d'architecture, la troupe de chanteurs nous régala d'un spectacle éblouissant : Le Barbier de Séville.
En ce temps-là (terme dont je viens de vérifier la fréquence au compteur de mots de mon ordinateur !), chaque ville respectable possédait ses théâtres, son Opéra, son orchestre, sa troupe de comédiens, de danseurs et de chanteurs.
Aujourd'hui, grâce à la télé, beaucoup de salles sont devenues des garages et les quelques théâtres qui subsistent reçoivent des troupes venues d'ailleurs, en "tournée".
Comme les "grandes surfaces" ont tué le petit commerce et les artisans, l'infâme téloche et ses traiders de l'aculture, ont exterminé les véritables artistes.
Ce soir-là, à l'Opéra, c'était encore la troupe de la ville qui nous offrait ses voix à l'accent chantant et sa fraîcheur. Et, vibrant à l'unisson, toute la salle reprenait les grands airs bissés, chantant juste...
A Castelnaudary, le lendemain, nous sommes restés quatre heures à table à déguster un cassoulet fantastique accompagné de vins inoubliables. Petite sieste dans la nature, sous un pêcher, près d'un vignoble où embaumaient les roses.
En arrivant à Lézignan, notre bon Roland tomba la veste et se mit à rugir d'enthousiasme à chaque merveille qu'il découvrait et dont il voulait à toute force nous faire partager la couleur, la beauté, le parfum, la saveur. Roland nous déposa à Leucate, charmant village au-dessus de la Méditerranée, où nous séjournerons plusieurs semaines dans la maison de Madame Héléna mère, hôtes d'André et de Marthe. (Mais il me semble que j'ai déjà parlé de ce séjour plus haut).
Massot logeait à Perpignan, chez un cousin, conseiller général. Mais il venait tous les deux jours nous chercher Lise, Marthe, André et moi, pour nous emmener visiter sa Catalogne.
Quelques souvenirs lumineux de ce séjour se sont incrustés dans ma mémoire. La visite des jardins Saint-Jacques, ces immenses potagers s'étendant de la ville jusqu'à la Méditerranée. Les fruits délicieux, les divins légumes, les petits vins frais et paillards en font un paradis sur terre. La kergolade au milieu des vignes, à l'abri d'un bouquet de chênes verts, accompagnée d'une cobla catalane reste un grand moment de ce voyage.

Keïta Fodeba






A la fin des années 50, Paris était une ville sombre et magnifique. Une nuit que je rôdais aux Halles, un endroit magique, le fameux "Ventre de Paris" de Zola, je croise un "regard". Le regard d'un noir, un jeune noir sans âge ! Il me demande :





«Vous n'auriez pas du travail pour moi ? Je serai votre esclave !»
Je l'emmène boire un coup et manger une "soupe à l'oignon" dans un bistrot, et il me raconte d'où il vient, de Guinée, il sort de prison car il milite dans des organisations indépendantistes. C'est un artiste, il chante, danse et compose de la musique sur des thèmes folkloriques de son pays, etc, etc. Je lui dis que je suis Suisse, anarchiste de droite après avoir été coco, que je vis sans le sou, qu'évidemment je n'ai pas de travail à lui proposer et que je ne souhaite pas qu’il devienne mon esclave ! Que je le tuerais plutôt !
Je partage avec lui le peu d'argent que j'ai sur moi, ça lui permet d'aller dormir dans un hôtel plutôt que sous un pont au bord de la Seine, de prendre une douche et de voir ailleurs... (A cette époque bénie les chambres d'hôtel n'étaient pas chères et l'on n'y refusait pas les vagabonds. Les tauliers faisaient même crédit !). 
Keïta me demande mon adresse. J’hésite à la lui donner, d'autant qu'alors toutes mes adresses n'étaient que provisoires !
Je n'aime pas qu'on me harcèle, qu'on me relance, mais je la lui donne tout de même. Il a une bonne tête et semble sincère...
Je n'entendrai plus jamais parler de lui jusqu'à un certain jour (plusieurs mois ont passé, peut-être une année ou deux) où je reçois une lettre de l'Ambassade de Guinée à Paris qui me prévient qu'ils ont un colis à me remettre de la part du ministre de la culture Keïta Fodeba ! (En ce temps-là la poste fonctionnait parfaitement bien !)
Je tombais des nues.
Le colis fut livré au 12, bd de Courcelles, à mon ancienne adresse : une corbeille de superbes fruits exotiques accompagnée d'une enveloppe contenant une lettre et un billet d'avion que Sylvie qui m'avait succédé dans ma chambre de bonne, me fit suivre.
C'était le clin d'oeil de mon "clochard" d'une nuit aux Halles ! Ses amis avaient pris le pouvoir, son pays était devenu indépendant, il avait réalisé son rêve de créer une troupe de ballet africaine et il était... ministre de la culture ! Son ensemble folklorique a fait le tour du monde ! Il m'arrive encore de fredonner son émouvante chanson : Minuit !

Ballets africains







J'ai donné ses fruits à mes amis, je n'ai pas profité de son billet d'avion que j’ai du égarer, mais quand son extraordinaire troupe s'est produite à Paris, je suis allé la voir et l'entendre ! Ce fut une soirée fabuleuse... Plus de cent rappels ! Des "bis" en surnombre, le "Tout Paris" aux pieds de Keïta ! J'étais trop impressionné pour aller le saluer dans sa loge, trop timide aussi...




Malgré ses lettres et ses messages, je ne l'ai jamais revu, je ne sais pas s'il est encore vivant ou s'il est mort... Je n'entends plus jamais parler de sa troupe, de ses chansons, mais son souvenir reste en moi parmi les instants lumineux de ma vie !
Depuis, j'ai appris qu'il était mort dans des circonstances abominables, au camp de Boiro, trahi par ses amis...

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Georges Arnaud et Jean Bruce
Ce fut à Villefranche sur Saône que je rencontrai pour la première fois Georges Arnaud. Il résidait là, dans une HLM, avec son épouse. Il y était professeur et écrivait d'excellents polars pour plusieurs éditeurs dont l'Arabesque. A cette époque, son nom de Georges Arnaud était déjà utilisé comme pseudonyme par Henri Girard, un auteur devenu célèbre grâce à un seul ouvrage porté à l'écran avec un immense succès : Le Salaire de la Peur.
Or Georges Arnaud aimait bien son nom et pestait de ne pouvoir l'utiliser. C’est ainsi qu'il dut écrire sous plusieurs pseudonymes, dont Saint-Gilles. Ce n'est que lorsqu'il écrivit pour le Fleuve Noir, qu'il adapta définitivement Georges J. Arnaud pour qu'il n'y ait pas de confusion.
Georges était un garçon délicieux, d'une culture sans faille, d'un commerce harmonieux. Bon comme le bon pain, il aida nombre de ses jeunes confrères à écrire, allant jusqu'à rédiger parfois à leur place des épisodes entiers pour leur permettre de publier leur ouvrage. Georges avait une facilité d'écrire sans pareille. Il tapait un roman de deux cents pages en quelques heures, sans retouches. Son épouse corrigeait les fautes de frappe de ses ouvrages car, lorsqu'un éditeur lui demandait des retouches ou des corrections, il préférait reprendre son livre, le refiler à un autre éditeur, et d'en écrire un nouveau.
Georges Arnaud a écrit des centaines de romans tout en menant de front une vie de famille harmonieuse. Devenu riche et célèbre, il vécut avec son épouse et leurs deux enfants dans un ancien monastère du Var, tout en ayant son cabanon au bord de la Méditerranée, avec un joli voilier de la première série de bateaux en plastique, un Golif. Je me souviens d'une merveilleuse escapade sous voiles à bord de ce petit navire, autour des îles de Lérins. Instants lumineux.
C'est chez André Héléna, à Leucate, que je fis la connaissance de Jean Bruce.
Grande fut ma surprise d'apprendre que Jean Bruce demeurait à Brunoy, comme moi. Nous vivions sans le savoir à moins d'un kilomètre l'un de l'autre. Comme Georges-J Arnaud et André Héléna, Jean Bruce me fut d'une grande aide à mes débuts en "écritures".











Bruce avait eu la chance de créer un personnage de légende : Hubert Bonnisseur de la Bath, qui devint le prototype même du roman d'espionnage à la française et connut un immense succès. En peu d'années, ce genre de roman populaire supplanta la vogue du roman policier traditionnel et relégua loin derrière la célèbre Série Noire.








Jean Bruce publia ses premiers romans au Fleuve Noir, petite maison fondée par deux anciens employés de Roger Dermet, rue des Moulins.
Si Roger Dermet ne laisse pas une trace profonde dans l'histoire de l’édition française, s'il n'a jamais roulé sur l'or, s'il n'a jamais fait fortune, il fut l'inventeur et le précurseur de l'édition populaire d'après la seconde guerre mondiale. Il lança des dizaines de collections, d'auteurs, de revues, de genres, toujours avec un petit succès d'estime mais sans persévérer jusqu'à la grande réussite.
Ce fut lui qui lança les premiers romans "de gares", les premières revues populaires d'histoire, les premiers romans sexy, les romans policiers et d’espionnage grand public, écrit à la chaîne par des tâcherons dont je faisais partie. Évidemment, Dermet ne travaillait pas dans le "génie", il ratissait un public très large, il n’exigeait pas de tenue langagière de la part de ses auteurs, il publiait du vite fait, du terre à terre, du brut de coffrage, mais cela plaisait...
Un des défauts de Dermet fut sa légendaire pingrerie. Il ne payait ni ses auteurs, ni ses employés, mais auprès de lui, l'on apprenait un métier, un savoir faire.
Aussi, plusieurs grands éditeurs populaires de l'après-guerre sortirent-ils de son échoppe pour émigrer ailleurs et créer des maisons concurrentes.
Armand de Caro et Edmond Nouveau furent de ceux-là. Comme deux décennies plus tard, Bernard Barrault et Bernard Fixot, anciens employés chez Gallimard, qui fondèrent à leur tour leurs éditions à succès.
Roger Dermet avait mauvaise réputation parmi les auteurs. Mythomane, il se faisait passer pour Roger Dermet, un des promoteurs de "Dada". Il avait même publié sous cette signature un livre scatologique paru sous le manteau et très recherché par les amateurs de Curiosa, bande dessinée intitulée La vie sexuelle du Général de Gaulle où dans une langue truculente l'auteur faisant parler le Général, racontait ses aventures érotiques avec une belle et célèbre actrice de la Comédie française. Détestant payer ses auteurs Dermet abusait parfois de procédés malhonnêtes pour les éconduire, affirmant avoir égaré leurs manuscrits déjà parus et en vente, ou qu'ils avaient été saisis par la censure, etc.
Henri Girard qui lui avait confié le manuscrit du "Salaire de la peur" eut toutes les peines du monde à récupérer son ouvrage que l'indélicat margoulin avait déjà fait composer sans faire de contrat ni accorder d'avance à l'auteur. Or Henri Girard (dit Georges Arnaud) n'était pas un enfant de choeur. On disait qu'il avait tué son propre père.
Un soir, à la fermeture, Girard-Arnaud fit irruption rue des Moulins revolver au poing et menaça d'abattre l'éditeur s'il ne lui restituait pas son manuscrit sur le champ. Roger Dermet, se vantait pourtant d'avoir été un ancien mercenaire, s'exécuta sur le champ et Georges Arnaud connaissant le secret des deux portefeuilles lui subtilisa le sien gonflé de billets qu'il répandit dans la rue sans en garder un seul pour lui.
Mauvais payeur de nature, ce curieux éditeur avait l'habitude de diffuser sous le manteau ses publications interdites par la censure, sans prévenir de la manoeuvre ses auteurs qui ne touchaient, de ce fait, pas un sou.
En ce temps-là, l'édition populaire était un nouveau Far-West. Un nombre incroyable d'aventuriers incultes se lancèrent dans l'édition populaire. Quelques-uns avec succès. Il faut dire qu'avec l'apparition de nouvelles techniques d'imprimerie, la composition linotype, les rotatives, l'offset, le prix d'impression du livre chuta fortement.
L'édition papier connut quelques années fastes que vint ruiner la banalisation de la radio, du disque, l'apparition de la télévision.
En ce temps-là les gens simples lisaient beaucoup. Aujourd'hui les jeunes lisent moins et ceux qui travaillent écoutent de la musique en conserve sur leurs baladeurs et s'abêtissent avant de s'endormir devant la téloche. Heureusement, nous avons l'Internet ! Quoique !

Les Marcellot
Jean et Lise Marcellot festival de Cinq-Mars-la-Pile.
Pendant que j'y suis, je voudrais noter un épisode cocasse de la vie de ces gens chaleureux et simples qu'étaient les Marcellot. Un soir que nous dînions rue Lacuée, toute la tribu autour de la table, quelqu'un sonne à la porte. Jean alla ouvrir.
A l'entrée, au bout du vestibule, apparut un jeune homme très beau, immensément timide, qui bredouilla :
- Je suis bien chez M. Marcellot ?
- Oui mon gars, dit Jean, pince sans rire, mais lequel souhaitez-vous rencontrer ? Demeurent ici quatre messieurs qui portent le patronyme de Marcellot :
Albert, Jean, François et Louis...
- Il me semble que ce serait à M. Albert que je souhaiterais parler !
- M. Albert, c'est mon père, le voici !
Le père Marcellot se leva de table, essuya sa moustache à l'aide d’une serviette blanche, allant au-devant de l'inconnu, sans refermer la porte du couloir derrière lui.
Quelques bribes de la conversation parviennent jusqu'à la salle à manger.
L'instant d'après, Albert revient, le visage rouge, tenant le jeune inconnu par l'épaule, et le présentant à la famille.
- Voici Albert ! Mon fils !
Stupeur dans la salle à manger. Réactions diverses. Fou rire de Lise. L’aïeule marmonne et grimace. Mme Marcellot écarquille les yeux devant l'inconnu. Jean avale un grand verre de rouge.
Le père, avec courage, avoue, en quelques mots précis, sans détours, devant sa famille rassemblée, avoir connu jadis, avant la guerre, la mère de ce jeune homme et... que "ma foi, le beau jeune homme que voici en était le fruit !
Passé le bref instant d'hésitation bien légitime, c'est la joie dans la maison.
Mme Marcellot mère se lève, embrasse le jeune Albert et l'invite à prendre place à son côté.
L'aïeule seule bougonne un peu pour la forme. Mais le repas reprend, les enfants dévorent l'enfant prodigue des yeux, Lise et Jean très enjoués, mettent spontanément leur jeune frère à l'aise.
Voilà comment vivait et se comportait la "tribu" Marcellot.

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1958 : 13 Mai - Place de la République
En 1958, le 13 Mai, je me retrouvai je ne sais plus très bien comment, place de la République où une foule immense afflua de toute la région parisienne, acclamer quelques hommes politiques de droite, tels André Malraux qui, de sa voix rauque, tonitruante, hurla un discours qu'il accompagna de grands gestes désordonnés de dément. Mais ce discours passa très bien malgré son ton incantatoire, excessif, son délire théâtral, et galvanisa la foule. Pourtant, de là où je me trouvais, j’entendais aussi les grognements et les vociférations menaçantes de contradicteurs communistes, vite étouffées par les partisans du général de Gaulle.
Grisé par l'ambiance, j'applaudis moi aussi très fort aux propos de cet homme gesticulant juché au-dessus de la foule sur le socle de la statue de la République. Je hurle n'importe quoi, tandis qu'un ouvrier à mes côtés grommèle des propos peu amènes, disant que la dictature gaulliste serait féroce, que le réveil serait rude, que la seule voie raisonnable pour la France serait de se ranger sous la bannière soviétique et de devenir une république démocratique. Ce n'était pas la seule voix discordante que j'entendis ce jour-là. Mais, l'ambiance, l'enthousiasme étaient trop forts pour que l'opposition ait voix au chapitre.
A quelques jours de là, Lise et moi étions invités à l'Opéra comique. Il faisait beau et chaud. Comme nous attendions la sonnerie en fumant et devisant dehors, sur les marches, je vois apparaître Jean accompagné de sa maîtresse, portant une brassée de journaux. Il s'agissait d'un numéro d'Ici-Paris qui venait de sortir de l'imprimerie, où paraissait le premier épisode de la saga algérienne qu'il avait écrite.
Je me souviens de sa joie immense, débordante, enfantine, lorsqu'il se mit à distribuer le journal aux spectateurs prenant le frais. Jean Marcellot avait l'âme d’un militant. Il s'investit beaucoup dans la cause gaulliste. Il en fut peu récompensé, car il y avait foule autour de la mangeoire.
Tous les hommes politiques allaient à la soupe. Jean obtint un poste à Nancy, à la télévision régionale lorraine. Il s'y illustra par de très belles émissions littéraires et des reportages sur l'Algérie.
Mon état d'esprit d'alors était plus réservé. Je me sentais de droite, bien sûr, mais plutôt anarchiste de droite. Échaudé par le communisme, ses crimes, l'absurdité de son idéologie, je m'étais juré de ne plus jamais prendre parti, de rester en dehors du troupeau, de garder mon franc-parler, une totale liberté de pensée, et j'ai presque tenu parole.

1959- Le Bistrot, rue des Moines
A la mort de son mari, Pierre Jouniaux, Lise avait touché de la sécu un capital décès. 4 millions de francs légers. Un véritable pactole ! Il lui permit d'acheter en toute propriété un sombre petit 2 pièces, rue Montorgueil. Bien que ce capital fut le bienvenu, notre vie de bohême ne nous permettait pas de subsister longtemps sans travailler. Les parents de Lise nourrissaient et élevaient ses trois enfants, sans rechigner.
C'étaient des parents adorables. Lise, courant vainement le cacheton, et moi, écrivain n'ayant jamais publié ouvrage qui vaille, nous nous entendions merveilleusement.
Mais pour survivre, il fallait trouver quelque chose, un job. Comme nous étions tous les deux des piliers de bar, des fêtards noctambules, nous avons pensé que tenir un café nous permettrait de vivre tout en faisant la fête. Au lieu de dépenser nos pauvres sous chez d'autres, nos amis viendraient dépenser leurs sous chez nous.
La vente du petit appartement sombre et humide de la rue Montorgueil, permit l'achat d'un fond de commerce, 106 rue des Moines, dans le XVIIe populaire. Ce petit rade n'était pas somptueux. Un zinc, une machine à café, six tables. Mais, il nous permit de vivre. Nous offrions des plats du jour, de la cuisine simple, une collection de bières belges et des vins de terroir choisis en Touraine à une clientèle du voisinage. (Aujourd'hui l'immeuble et son bistrot ont été rasés et remplacés...
C'était une vie rude. Nous étions ouverts six jours sur sept. Nous dormions dans l'arrière-boutique. Fourbus par nos journées de travail, nous sortions rarement.
Seul luxe le bistrot était fermé à l'heure de la sieste. Sieste délicieusement crapuleuse. Lise était une merveilleuse amante. Mignonne, gaie et très active, elle plaisait beaucoup à la clientèle. Elle ne refusait jamais le petit coup de Chinon à un client.
Bien que crédit fût mort, ainsi que l'annonçait une pancarte au-dessus du bar, des clients qui savaient y faire avaient des ardoises. Certaines fantastiques... Nous étions généreux et naïfs. A cette époque les impôts étaient légers, les « forfaits" compréhensifs et les prélèvements sociaux pas encore régis par la mafia socialiste.
Mlle Sauvagnac collaboratrice de Roland Massot, s'occupait de notre comptabilité réduite à sa plus simple expression. Toujours grand lecteur, j'allais me ravitailler en livres chez un bouquiniste installé sous une porte cochère de l’avenue de Saint-Ouen qui pratiquait le prêt par échange.
C'est chez lui que je découvris la Série Noire dont je dévorai tous les grands auteurs avec une préférence pour James Hadley-Chase, Charles Williams et Peter Cheyney. 





J'avais acheté une vieille Underwood et me mis à écrire. Je commençai par mettre au propre le manuscrit de Fleur d'Amour, ce conte bédouin à la manière des Mille et Une Nuits, recueilli à Djerba, d'après les cahiers griffonnés à Hammamet que j'avais conservés.
Notre bar attira rapidement beaucoup de monde. Des gens de toute sorte. Il y avait le père Josson, un retraité, toujours prêt à rendre service, qui passait sa journée auprès de nous. Messager, coursier, surveillant, le père Josson se faisait payer à coups de petits verres de gros rouge et d'une assiette du jour. Il y avait Marlène, une fille pas laide mais marquée par la vie. Jeune femme divorcée d’un mari ivrogne qui la battait, elle vivait dans une petite chambre sous les toits. Jusqu’à midi, elle était juchée en robe de chambre sur un tabouret de bar, montrant des jambes qu'elle avait belles, fumant clope sur clope et se faisait des cafés-rhum jusqu'à onze heures, puis des apéritifs.
De temps à autre, elle emmenait un client dans sa soupente et redescendait une demi-heure plus tard avec lui pour se remettre à picoler. Marlène, sans être belle, attirait les hommes par une sorte de mollesse négligée.


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Le Stakhanoviste de l'Underwood
Stakhanoviste de l'Underwood comme me surnomma Paul, j'acceptai toute commande de livre quelle qu'elle fût. Je souhaitais vivre de ma plume, à n’importe quel prix. Je savais instinctivement que ma voie était là. Evidemment, les commandes que l'on me passait étaient chichement payées et touchaient des genres littéraires très mineurs. Cela m'était égal. Je n'avais pas d'amour propre d'auteur. Je n'en ai toujours pas !
La plupart des commandes concernaient des polars que je bâclais en huit jours ou des "romans de cul" que je torchais en trois nuits.
Au quartier latin, au 4 de la rue Le Goff, entre la rue Cujas et le Boul'mich, la petite rue abritait l'officine du père Pinaud. C'était une boutique étroite, en forme de boyau, qui s'étirait en longueur, s'enfonçait profondément dans l'immeuble et possédait plusieurs sorties. Le père Pinaud habitait Nevers. C'était un petit bonhomme fluet, poli, souriant, charmant, toujours tiré à quatre épingles, vêtu d’un costume sombre avec gilet à dos de satin comme dans l'ancien temps, chemise blanche, cravate bleue, portant chapeau, chaussures vernissées, demi bas en fil d'Écosse. C'était le sosie de M. Antoine Pinay dont il se flattait d'être l'ami et le partenaire aux cartes.
M. Pinaud était grossiste en livres. Dépositaire de quelques petits éditeurs de province, il n'avait qu'un seul employé: Daniel Lebeau. Les libraires de toute la région parisienne lui envoyaient leurs coursiers pour "ramasser" les livres de commande que M. Pinaud facturait et que Daniel "préparait".
M. Pinaud pensait avoir trouvé en Daniel l'employé idéal, le collaborateur providentiel dont le zèle et la compétence lui permettaient de venir à Paris le moins souvent possible, parfois juste, en fin de semaine, pour relever la caisse.
En fait, Daniel avait monté à l'ombre de la Maison Pinaud une entreprise personnelle, beaucoup plus lucrative que celle de son patron. D'abord simple intermédiaire, il mettait en rapport des auteurs faméliques et des éditeurs de dix-septième ordre, servant en quelque sorte d'agent littéraire bénévole.
Puis, flairant une affaire plus rentable, il se mit à acheter les manuscrits des mêmes auteurs et à les revendre aux éditeurs, prenant au passage une confortable commission.
M. Pinaud qui ne pouvait pas ne pas voir ce petit trafic, fermait les yeux.
Son patron lui faisant confiance, venant de moins en moins souvent à Paris, Daniel s'enhardit: il se mit à éditer lui-même, sous le manteau, des ouvrages lestes et à les revendre par le réseau de coursiers qui venaient tous les jours à la boutique.
Cette activité lui rapporta évidemment beaucoup plus d'argent que le médiocre salaire octroyé par le père Pinaud.
Je profitais personnellement de cette combine et ravitaillais abondamment Daniel en "tapuscrits" de romans pornos produits à la chaîne, qu'il me payait cash 500 francs l'unité.
Si l'on se rapporte à l'époque, 500 francs de 1960 représentaient le smic, c’est à- dire, un peu plus que 5000 francs ou 750 euros d'aujourd'hui (2000).

Or, je fournissais au moins trois romans par mois ! Ce qui fait que pendant quelques mois je vécus confortablement espérant pondre dans la foulée des ouvrages plus relevés: espionnage ou policiers.


André de M.
Dès le premier jour, André de M., journaliste réputé qui demeurait à deux pas, venait boire son café du matin chez nous et avalait un steak-frites juste avant la fermeture, vers minuit ou deux heures du matin.
Lise et moi étions flattés de la présence dans notre modeste gargote de ce bel homme, célèbre et beau parleur.
Aussi, n'avons nous pas subodoré le piège.
André vint de plus en plus souvent, volubile, charmeur, enjôleur, consommant à chaque fois davantage, nous faisant acheter les meilleurs whiskies, les cognacs les plus chers, nous flattant, nous suggérant d'acheter du saumon fumé, du caviar pour attirer une clientèle plus choisie. Il amena des amis, qu'il régalait à nos frais, sans jamais payer l'addition. Et nous, idiots, lui faisions crédit.
Un crédit incroyable... qui se monta en quelques mois, à plusieurs dizaines de milliers de francs... (Une sacrée somme pour l'époque).
Puis un jour, il disparut du quartier...
Cette vie, dans un premier temps nous plaisait. Mais c'était tuant. De six heures du matin à deux heures dans la nuit.
La sieste, toujours crapuleuse, merveilleuse, devint une habitude et comme tous les habitudes, finit par nous lasser.
Des souvenirs éblouissants me restent de cette période...
Lise était une fille adorable, sensuelle, aimant la poésie, le théâtre, les bistrots, les bons vins, la bonne bouffe, les escapades et nous nous entendions à merveille.
Bien sûr, elle avait trois enfants. Des enfants en bas âge, Elisabeth, Fafa et P'tit Louis, des enfants charmants élevés par leurs grands parents et aussi, surtout, par l'arrière-grand-mère. Les Marcellot laissaient Lise mener sa vie de bohême en ma compagnie sans jamais rouspéter, sans jamais se plaindre.
C'était un couple simple mais merveilleux, bohèmes aussi, à leur manière. Des personnes profondément bonnes et généreuses. Nostalgie ! Nostalgie !
En quelques mois l'amour bohême un peu fou qui nous unissait se disloqua, se désagrégea, s'en fut. Durant mes siestes qui se prolongeaient par la lecture de polars, Lise était très courtisée.
Un jour, un beau gitan viril, entreprenant, la séduisit. Mais le gitan, comme dans la chanson, était un peu truand. Et Lise, très romantique, aimait fréquenter les marginaux, les gitans et les voyous, comme notre ami André Héléna.
M'étant rendu compte de la situation, j'abandonnai la place sans esclandre, avec quelques regrets mais sans remords, et m'en fus avec pour tout bagage et toute fortune, ma vieille valise au cuir boucané à ferrures de bronze achetée aux Puces, contenant toutes mes richesses et, dans un rücksack fatigué, mon antique, précieuse et hautaine Underwood.
André Héléna me suggéra de m'adresser à André Gitler, un éditeur-imprimeur à qui il fourguait parfois quand il était dans la dêche des petits romans porno.
La chance me sourit, car dès notre premier rendez-vous, Gitler me donna quelques centaines de francs à valoir sur mes écrits pornos qu'il acceptait d'éditer.
Peu économe de nature, j'en profitai pour réaliser un rêve très ancien: vivre à Paris, chez moi, dans une chambre avec vue sur la Seine. En souvenir du Quai aux Fleurs, sans doute !
Oui, pour la première fois je gagnais quelques sous grâce à mon clavier d'Underwood. J'avais vingt-sept ans et encore toutes mes dents.
André Gitler me payait chichement certes, au coup par coup, mais en beaux billets glissés de la main à la main. Ces premiers textes érotiques à prétention littéraire, furent publiés sous le manteau dans son imprimerie du Sentier. Ainsi parurent tour à tour mes contes à la manière des "Mille et une Nuits" recueillis à Djerba et quelques pochades sans intérêt sinon alimentaire.


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