samedi 3 décembre 2016

3) SOUVENIR D´UNE VIE TORDUE


Par Marc SCHWEIZER lui même


Présentation



Cette présentation, je préfère l'écrire moi-même, car je me souviens trop de l'horreur qu'éprouva mon ami J.M., pourtant mis en garde, lorsqu'il reçut l'odieuse, insupportable et idiote préface qu'il avait sollicitée d'un ami qu'il admirait.

Je n'ai jamais été sûr de rien. Mein schiefes Leben. J'ai toujours douté de tout, de mon talent, de mon physique, de ma raison même, parfois.

Chacune de mes réussites fut suivie d'un échec cuisant. J’ai toujours appris à mes dépens que la roche tarpéienne était toute proche du Capitole.»

Ainsi, lorsque je fus reçu au Collège de Nyon, le directeur annonça, parlant de moi, devant tous les élèves: «Voici Émile, un nouvel élève qui nous vient de l'école primaire. Je vois en lui une étoile montante au firmament de notre établissement !»
Trois ans plus tard, au Collège de Genève, jetant l'éponge, je ne me présentai même pas aux examens de «Matu.».
Je fis de même en 1986, lorsque je pouvais passer l'examen des Arts et Métiers après mon apprentissage de l'informatique aux cours du soir de la Ville de Paris. Horreur des examens, crainte de l’échec, panique... Je ne suis pas une bête à concours. J'étudie à mon rythme ce que je souhaite apprendre, toujours hors programme, et ce que je sais, je le sais, ne vaut pas grand chose pour les autres, mais me plaît à moi !
Sur le qui-vive…
Toujours sur le qui-vive, ne dormant que d'un oeil, en sécurité nulle part, avec de temps à autre une veine insolente suivie de naufrages inattendus, j'ai vécu une vie pleine de surprises et d'imprévus. Parfois j'ai cheminé en plein soleil sur le chemin de crête, pour, l’instant d'après, me retrouver plein de bleus mais indemne au fond d’un gouffre.
J'ai entrepris beaucoup de choses et en ai achevé très peu. J’ai goûté à tout, touché à tout, sans jamais m'enfermer dans des passions exclusives ou excessives...
J'ai grappillé les êtres et les choses. J'ai butiné mon plaisir d’une fleur l'autre sans m'attarder. J'ai croisé beaucoup de gens, des plus simples aux plus célèbres et aux plus riches. Je ne me suis guère attaché, n'ayant jamais entretenu des relations suivies, n'aimant pas revoir les mêmes têtes, les mêmes lieux, ne sachant écrire ces petits mots gentils, remercier au téléphone une maîtresse de maison accueillante, petites civilités exigées par les mondanités d'une société civilisée.
Je suis toujours resté à la marge. Mes amitiés sont vagabondes, fidèles en esprit, mais peu suivies. S'il m'arrive de revoir un ami perdu de vue depuis des décennies, c'est comme si je l'avais quitté hier. Le temps ne compte pas. Le temps est un aigle agile dans un temple.
Je suis tour à tour le "loup des steppes", "le renard du désert", « le mendiant ingrat", "le vieux d'après-minuit". Me connaissant bien, je n’ai jamais eu une très haute idée de moi-même. Fripouille, lâche, menteur, voleur, prédateur, mais jamais d'envergure, toujours au petit pied, je poursuis d'instinct, en animal libre mais sur le qui-vive, une existence sans but guidée par le hasard.
Je vis toujours entre la corde et la couronne. Un jour loup solitaire, chapardeur et affamé, le lendemain Siddharta, pélerin de l'absolu, puis, la chance revenue, goinfre sybarite et fanfaron, satyre ravageur, gonfaron au petit pied.
Me voici parvenu, cahin caha, sans trop de plaies ouvertes ni de bleus à l'âme, seul l'esprit un peu cabossé, en cette fin d'un siècle extraordinaire. Après une vie bien remplie, à la fois modeste et très riche, j'éprouve le sentiment curieux de n'avoir encore réalisé aucun de mes objectifs. Mais avais-je un objectif ?
Quand je me retourne sur mon passé avec le regard critique et gourmand de "l'entomologue" que je me flatte d'être, je vois se dérouler une existence de funambule fantasque folâtrant sans but, sans assise, traversant une vie bâtie de bric et de broc.
Ma vie est une bicoque de guingois, aux fondations incertaines, à la charpente gauchie, sans style bien établi, bâtie en trompe-l'oeil, « ein schiefes Leben » comme le dit une expression imagée de ma langue maternelle.

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LE MONDE D’HIER






"Près du passé luisant demain est incolore" (Apollinaire).

Je suis né aux temps heureux des feuillées et des pots de chambre. On ne peut plus guère imaginer, dans notre monde d'Européens gavés, ce que représentait dans notre vie de tous les jours cet objet simple, rond, familier et indispensable que l'on remisait dans la table de nuit, à portée de main, le plus près possible du lit.

Jadis, pour la plupart des gens, les besoins naturels étaient une corvée. Les toilettes se trouvaient sur le palier, dans la cour ou le jardin. Souvent simple caisse de bois trouée, à couvercle, placée au-dessus d'une fosse très peu septique, dont les fortes et roboratives affluences attiraient les mouches l'été et les cafards l'hiver.

Le vase de nuit que l'on appelait aussi le "bac à caca", « amphore des rêves", "seau à pipi", "bac à ardoises", "cage aux rondins", « l'auge à foufoune", "le tonneau des défuntes", "le bocal à malices", "la cuve à lancequine", "miroir à cul", "tombeau des oublis", "la marmite à Pétard », "le trempe-couilles", "panier à crottes", "repose-figne", "moule à pétasse", etc, faisait partie des accessoires indispensables. On retrouve chez André Héléna, Jacques Yonnet et Robert Giraud, vingt autres synonymes de ce charmant réceptacle.

Difficile d'imaginer de nos jours ce que la nécessaire réalisation d'un pressant besoin pouvait avoir de comique ou de tragique dans certaines circonstances. Nos ancêtres appelaient poétiquement ce lieu le "cabinet d'aisance" ou le "chalet de nécessité". A Versailles, dit-on, au temps de Louis XIV, les courtisans pressés posaient culotte derrière un rideau, dans un placard et pissaient n'importe où ils pouvaient. Le Roi lui-même allait à la "garde-robe" en public, officiant sur une chaise percée.






Ces lieux aimables, ces édicules, étaient rarement très beaux ni très pratiques, mais tels quels, ils nous paraissaient fonctionnels. Après les Romains, ce sont les Anglais, je crois, qui ont développé le confort dans ce domaine.

Je me souviens de mon étonnement, lors d'un voyage à Leucate dans les années 50, de me retrouver le matin venu, cheminant en compagnie de mes hôtes, (Mme Héléna et son fils André) et de leurs voisins, vers les confins du village, seau d'aisance ou pot de chambre à la main. Tout en devisant, échangeant des nouvelles, nous nous rendions à travers vergers et jardins par de jolis chemins bordés de murets de pierres sèches et de figuiers, vers la lisière du bourg, déposer nos offrandes nocturnes.

Leucate, comme la plupart des villages du Languedoc avait alors sa ceinture de merde.

A la même époque, les vieux quartiers de la belle Toulouse ne disposaient pas encore du tout-à-l'égoût. L'été, la ville rose sentait l'urine et le caca. Les caniveaux à ciel ouvert véhiculaient des étrons baladeurs, des capotes anglaises, des rats empoisonnés et des foetus humains parmi les épluchures ménagères, entraînés au gré du ruissellement des eaux usées. La nuit, dans les rues populaires, le pot de chambre inspirait un autre respect, celui de calmer les chants intempestifs et les bruyantes vociférations des noctambules éméchés.
Le tapage nocturne était souvent adroitement sanctionné par le jet bien ajusté du contenu d'un vase de nuit.
En voyage, à l'hôtel, la première chose dont l'on s'enquérait était l'emplacement des commodités. Car les chambres avec WC, douche, baignoire ou lavabo à eau courante, n'existaient alors que dans des hôtels de très grand standing, voire de luxe.
Durant toute mon enfance, j'ai connu, dans les chambres meublées où j'habitais ou les chambres d'hôtel que je fréquentais, la commode où trônait, sur une plaque de marbre blanc, l’indispensable et vaste cuvette et son broc d'eau en céramique, pour la toilette. On se lavait le visage et le corps, les dents et les pieds, le zizi et le cul, avec la même eau, utilisée tout de même selon une stricte hiérarchie, avec la plus stricte économie de moyens. La table de nuit abritait l'indispensable "pot de chambre".
La nuit, dans certains établissements de troisième ordre, retrouver le lieu d'aisance sur le palier, dans la cour ou dissimulé dans une obscure soupente, était parfois une quête bien difficile. C'est pourquoi, pressé par un besoin impérieux, on faisait où l'on pouvait. Une femme de chambre me dit un jour:
- C'est incroyable ce que les clients peuvent être sales ! Parfois ils pissent ou défèquent dans les armoires, derrière les rideaux ou carrément dans le couloir*.
Combien de fois, pressé par le besoin, ai-je tout simplement pissé par la fenêtre...
Une nuit d'été dans un refuge alpin que j'avais la vessie torturée, je lansquinai par la fenêtre ouverte sur la terrasse du chalet, ignorant que le dortoir étant plein, des randonneurs y dormaient dans leur sac de couchage.
Le service, par contre, même dans les établissements modestes, était nettement plus étendu qu'aujourd'hui. Les repas pouvaient être pris dans la chambre, le petit déjeuner copieux, le nettoyage des vêtements et des chaussures assuré sans supplément par des femmes de chambre diligentes et des hommes de peine dévoués. Les soubrettes n'étaient pas encore devenues des "techniciennes de surface" syndiquées. Elles ne refusaient pas au voyageur esseulé de petites complaisances contre une piécette... En Suisse, pendant la guerre, une passe valait une thune, (un Fünfliberli en argent).
Les femmes, dans les cantons catholiques de la Suisse primitive (comme en Bretagne d'ailleurs) allaient à la messe comme à une fête, coiffées et en costumes. Elles assistaient à l'office religieux dans des travées séparées des hommes, non pas pour éviter des audaces, des attouchements, de furtives caresses, mais pour ne pas outrager leur modestie. Les sermons étant très longs, les églises souvent glaciales, les femmes prudentes se munissaient d'un "bourdaloue" qui recueillait discrètement le trop plein de leur vessie.

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Les vêtements
Dans ces années, à la fois si proches et si lointaines, les "gens du peuple" possédaient peu de vêtements. Un "costume du dimanche », habit à tout faire : cérémonies, messe, banquets, visite aux notables; des vêtements de travail correspondant à la profession exercée: salopette, combinaisons, bleu de chauffe, livrée. Deux paires de chaussures qui devaient durer vingt ans. Les femmes "du commun" ne possédaient pas des dizaines de robes, de jupes, de chaussures, de manteaux comme c'est le cas aujourd'hui. Pour leur mariage, les hommes choisissaient un habit sobre, sombre, confortable et solide qui leur servirait de costume durant plusieurs années.
Quant à la jeune mariée, la blanche robe choisie par sa mère, elle venait le plus souvent de sa mère ou de sa grand-mère.
Soigneusement conservée dans la naphtaline à l'abri des mites et de la poussière, elle ressortira de son coffre à la génération suivante.
On reconnaissait la profession et la position sociale des gens aux vêtements qu'ils portaient et à leurs couvre chefs. Pour se rendre à l'école, les écoliers revêtaient une blouse grise. Les élèves des écoles publiques ne portaient pas la même tenue que les enfants de riches qui étudiaient dans les écoles confessionnelles ou privées, parés d’un uniforme. Les maîtres et les professeurs s'habillaient en bourgeois. Pas de laisser-aller dans leur tenue. Il leur fallait montrer l’exemple, l'inspection académique veillait.
Les curés portaient la soutane, et cet habit strict les protégeait contre eux-mêmes, maintenait une certaine distance et imposait aux autres le respect. Le visage des bonnes soeurs était cadré par un voile ou une cornette. Chaque ordre avait les siens. Innombrables, en ce temps-là, les religieuses, vivaient en robes longues, souvent élégantes.
Cet "uniforme" leur allait plutôt bien, les embellissait, comme la soutane seyait aux ecclésiastiques et que, de nos jours, chez les musulmans, un tchador porté avec art ou une "bourkha" avantagent un visage ingrat ou une anatomie difforme.
Les employés aux écritures que l'on appelait des gratte-papiers, portaient costume cravate et manchons de lustrine pour protéger de l'usure les manches de leur veston; les ouvriers gardaient leurs bleus de travail toute la journée. Les bourgeois et les nobles possédaient
plusieurs vêtements, selon l'heure de la journée ou l'occupation du moment.
Les gens se promenaient rarement tête nue. D'une femme sans chapeau on disait qu'elle sortait "en cheveux". Il existait cent mots pour parler de la coiffure. Les dames et les demoiselles portaient fichu, bibi, galure, cloche, faluche, toque, turban, capuche; les hommes arboraient béret, calot, casquette, bitos, feutre, borsalino, claque...
L'économie domestique voulait qu'un ensemble vestimentaire, un costume, une robe fussent portés par plusieurs générations. Mon père, né en 1875, se fit tailler sur mesure vers 1895, par un bon faiseur de St Gall, un costume de tissu de laine "anglaise" (le grand chic) qu’il revêtira durant cinquante années les dimanches et jours de fête. En 1950, cet ensemble fut retaillé à mes mesures (j'avais 18 ans) et je le porterai à mon tour quelques années durant jusqu'à Paris, où j’aurai l'inélégance de m'approprier le superbe "complet" en prince-de-galles prêté par un ami iranien.

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La famille

Le regard porté sur les autres n'était pas le même qu’aujourd’hui. S'ils n'étaient pas forcément aimés, le supérieur, le patron, le maître étaient respectés. L'autorité acceptée. Les subalternes naturellement soumis. Le peuple admirait généralement ses dirigeants, qu'ils fussent maire, député, ministre ou simples notables. Le respect des adultes, la politesse, l'obéissance, l'économie, le travail bien fait, la soumission aux lois étaient des vertus inculquées dès l'enfance. Bien sûr, il existait des révoltés, les "anarchistes", que l'on montrait du doigt.

Hiérarchie également au sein de la famille. Le père en était le chef naturel. C'est lui qui apportait par son travail l'argent qui la faisait vivre.

Son autorité était sans commune mesure avec celle des papas copains, des "petits pères" démissionnaires et fatigués d'aujourd'hui. Il avait le droit de sévir, de tirer les oreilles, d'administrer taloches, gifles et fessées, bref de corriger ses enfants. Il était craint, redouté, respecté. Dans certaines familles paysannes l'usage voulait que lorsque le pater familias referme son eustache (couteau) le repas fût terminé.
La femme ne travaillait généralement pas à l'extérieur sauf les célibataires ou les plus pauvres. Elle s'occupait de la maison, de l'intendance du ménage, des enfants, du poulailler. Elle apportait l'affection et la tendresse. C'était le recours. Les enfants “ élevés", "dressés" ne parlaient pas à table, ne "répondaient pas" à leurs parents, ne chahutaient que hors de leur vue. Les adultes ne se laissaient pas "emmerder" par les moujingues.
Les repas avaient leur cérémonial. Avant de se mettre à table chacun se lavait les mains et se donnait un coup de peigne. Dans de nombreuses familles on récitait le bénédicité, debout autour de la table, les mains jointes. On remerciait le Seigneur. A table, les enfants ne parlaient que si les parents les y autorisaient. Pas de disputes, d’éclats de voix. Ils mangeaient ce qu'il y avait dans l'assiette, sans rouspéter ou dire "je n'aime pas ça". La taloche immédiate, la privation de jeux ou de dessert n'étaient pas des menaces en l'air.
Comme la plupart des gamins je détestais les épinards et les côtes de bettes. Je ne détestais pas les carottes, les betteraves rouges ou les endives en salade mais je les haïssais servies chaudes, en légumes. Je garde le souvenir du même plat d'épinards que maman réchauffa quatre repas de suite avant que, tiraillé par la faim, je ne le mange avec des hauts-le-coeur et que je me jette sur la succulente purée de pommes de terre qui m'attendait.
Bien sûr, tout cela ne tenait qu'en présence des adultes. Dès qu’ils avaient le dos tourné, nous reprenions notre indépendance. Et quelle joie de nous gaver de purée de marrons, de chocolat crémeux et de tartines de confitures, chapardés, dès que nous avions le bonheur d'être livrés à nous-mêmes.
Même à la table des petits bourgeois, la viande était un luxe. Le poulet une rareté réservée au repas du dimanche. Mais céréales, fruits et légumes étaient abondants.
Un jour que mes parents recevaient leurs amis à déjeuner, je me souviens m'être jeté goulument sur une tranche de melon sans attendre que les adultes fussent servis. Quelle affaire! Je dus manger seul tout le plat. Douze tranches. Ma mère alla cueillir deux autres melons dans le jardin pour ses amis tandis que je dégustais le fruit jusqu'à la nausée. Il me fallut bien quarante ans pour retrouver le plaisir du melon.
Dans le registre de mes répulsions d'enfant, je garde aussi le souvenir d'une tarte dont j'allai subrepticement gratter la rhubarbe pour la remplacer, en toute impunité, par de succulentes fraises de notre jardin! La rhubarbe, quelle horreur.
Parmi les contraintes abhorrées de l'enfance d'autrefois: l'huile de foie de morue! Nous en reparlerons peut-être... et le sirop de limaces.
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Droit au travail et droit du travail
Aujourd'hui (2000) on prétend que le travail est devenu rare. Il y aurait des millions de chômeurs (environ 3 millions pour la France, 20 millions pour l'Europe). Par contre, des dizaines de milliers d’emplois restent vacants faute de candidats tandis que nos villes restents sales, l'environnement pollué, les personnes âgées se voient abandonnées à elles-mêmes. Ceux qui travaillent travaillent trop et les flemmards, les tire-au-flanc sont assistés. Nous venons (2000) d'entrer sous le régime des trente-cinq heures.
En 1950, il y avait du travail pour tout le monde, en tout cas pour tous ceux qui voulaient travailler. Que s'est-il donc passé au cours de ces cinquante années ? Eh bien, sous la pression de l’idéologie communiste dominante dans les milieux intellectuels, les pays libres ont peu à peu mis en place, sous la pression de syndicats dévoyés et des groupes de pression gauchistes, un système communiste bis, centralisé, avec une bureaucratie tatillonne et toute puissante.
Le résultat : plus personne n'est libre de travailler à sa guise, à son rythme. Pour survivre il faut disposer d'une carte de travail, adhérer à un syndicat (marxiste), abandonner sa liberté personnelle au profit de celle d'un groupe, d'une chapelle, d'une tribu plus ou moins barbare.
Comment s'étonner si beaucoup baissent les bras ou se réfugient dans l'illégalité. Si je souhaite travailler, que j'ai la santé pour le faire, j’ai deux solutions : entrer dans le système ou rester en dehors. Salarié, fonctionnaire ou assisté. Je ne peux plus offrir ma force de travail, mon intelligence, mes capacités, mon temps contre une rémunération libre.
Cela m'est interdit... Si je passe outre, je travaille au noir...
C'est pourquoi en France il y a beaucoup de travail au noir. Le scandale absolu est que ce sont le plus souvent les meilleurs éléments de la société, les plus dynamiques, qui, pour survivre, se voient contraints de travailler au noir.



Le droit et le bon sens

Le droit n'était pas jadis un dogme absolu. La procédure était élastique. Un juge était encore libre d'apprécier les cas qu'il avait à juger. On ne se gargarisait pas comme aujourd'hui avec un sacro saint "État de Droit" tout à fait illusoire. Nous vivions alors sous un régime de

Bon Sens. On donnait en exemple le "jugement de Salomon". La justice ne s'appuyait pas sur un droit tatillon, un code de procédure difficile à appliquer, mais sur la coutume. Elle jugeait au cas par cas, avec comme clés la morale intuitive et le droit naturel.

Pour fortifier le caractère et l'âme des enfants, les maîtres offraient à leur entendement des exemples tirés de la Bible ou des auteurs antiques. L'Odyssée, l'Enéïde, Plutarque.
Je me souviens encore avec émotion du récit circonstancié que nous fit notre prof d'histoire de la vie de Lucius Quinctius Cincinnatus, qui, vers 440 av. J.-C. sauva l'armée romaine, accepta le triomphe, refusa la sinécure à vie que lui offrait le Sénat, préférant sagement retourner labourer ses terres et cultiver ses champs.
La responsabilité individuelle n'était pas un vain mot. On ne pleurnichait pas à la moindre difficulté. On n'allait pas s'abriter sous la jujupe de l'État à la moindre adversité. On cachait ses petites misères.
Même les plus pauvres avaient leur fierté.

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Au temps où tout le monde chantait

A une époque pas très lointaine (le milieu du XXe siècle), comme depuis l'aube de l'humanité, les gens chantaient. Tout le monde chantait. Les oiseaux, les hommes au travail, les femmes quand elles faisaient la vaisselle, la lessive, l'amour. A l'école, à l'église, chez soi, au travail, le chant était partout. C'était une des merveilles de l'existence. Aujourd'hui on ne chante plus guère. Les rues sont tristes à mourir. Dans les échafaudages on n'entend plus les chansons fraîches et gaies des maçons auxquelles répondaient celles des peintres et des couvreurs. Chaque corps de métier avait son répertoire et ses virtuoses. Aujourd'hui le bruit des sableuses, des radios vulgaires et de la téloche remplace le chant joyeux des ouvriers. La chanson est devenue affaire de professionnels. L'original ou l'attardé qui chante ou siffle dans la rue passe pour un demeuré !

Un hôtel, la nuit, chantait. Les jeunes, les célibataires, les couples illégitimes choisissaient l'hôtel pour abriter leurs amours. A la campagne c'étaient les granges, les étables, les bosquets qui recevaient les amoureux. La nuit les cris, les râles, les chants d’amour alternaient avec le bruit d'évacuation du bidet.

C'était un objet important, le bidet. Il servait à laver les pieds, l'anus, et, entre deux visites à la fontaine d'amour, prendre un bain de siège pour rafraîchir la verge ou le maujoint. Le bidet remplaçait à la fois le stérilet, le préservatif et la pilule. Les jeunes filles à la page et les filles de joie veillaient elles-mêmes à cette hygiène élémentaire et y prêtaient la main.
Le personnel logeait dans d'inconfortables cagibis. L'on surprenait parfois le chuchotement ou le gloussement indiscret des domestiques réfugiés pour la nuit dans leur placard.
- Écoute, la 6 prend son pied! Au 13 c'est une pute, elle force la note ! Ou bien:
- Ah! je voudrais bien être à la place de la 3! Un si bel homme! Un si bel organe.
A certains moments, au paroxysme de la nuit, on pouvait croire que les chants d'amour se répondaient, s'émulaient, concouraient à la palme de la plus belle vocalise.
Les nuits n'étaient pas dédiées aux vociférations des poids lourds, au ronflement des motos mais au chant d'amour des rossignols et des femmes!
Ah! ces nuits bénies où le chant des oiseaux se mêlait aux chant d'amour des filles en joie.
Dans les "Hôtels de la Gare", à l'instant où le rapide de nuit passait, grondant et sifflant de rage, cahotant sur les aiguillages, le chant d'amour du rossignol et des amoureuses se taisait pour reprendre lorsque l'intrus s'était éloigné.
C'était il y a mille ans... dans les années cinquante!
Et les odeurs donc ! Les maisons anciennes avaient chacune une odeur. Une odeur subtile ou brutale, souvent indéfinissable comparable à celle des femmes. Je me souviens de l'odeur de la rue des Étuves à Genève, de celle, culinaire, des ruelles du vieux Lyon, des divines fragrances de certaines boutiques parisiennes, des fortes émanations Vénitiennes, des relents chargés des hôtels de Florence, des effluves épicés des bazars maghrébins, des remugles délétères aux abords des raffineries de pétrole ou de sucre.
Les gaz d'échappement nauséabonds n'empestaient pas les rues des villes comme aujourd'hui. Parfois, l'été, le crottin frais embaumait.
Les villages sentaient le purin ou l'ammoniaque car les paysans ne cachaient pas le fumier de leurs étables. Ils le mettaient en valeur. Il trônait, bien "au carré", en face des demeures cossues et fleuries, abritant parfois, au printemps, un noeud de vipères, témoignant de l'aisance de son propriétaire.

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Enfant de l’amour




Sans doute mes parents se sont-ils vraiment aimés durant quelques semaines ou quelques mois. M'ont-ils aimé ? Lorsque j’étais enfant, mon père et ma mère semblaient fiers de moi. Nos rapports m'ont toujours paru tièdes, sans chaleur véritable, en tout cas très éloignés des "bébêtises" d'aujourd'hui. Peu de baisers, de tendresse dégoulinante, jamais d'effusion sentimentale, d'exhibitionnisme. Je fus élevé à la spartiate. A aucun moment je ne me suis senti en sécurité ni à mon aise dans ma famille, ni très bien dans ma peau. Toujours aux aguets, sur le qui-vive.

J'ai porté tour à tour quatre noms de famille différents, puis cinquante pseudonymes, dont deux principaux que je me suis choisis.

Né Höhener, du nom de ma mère, j'étais inscrit à l'école de Genthod sous le nom d'Émile Benz, celui de mon père naturel, patronyme auquel je n'avais légalement aucun droit. Mais la Suisse ayant conservé un zeste de droit coutumier, permettait aux maires de gérer les cas particuliers de leurs administrés avec discernement.

Enfin, je me suis appelé Schmutz, lorsque mes parents se séparèrent à l'amiable et qu'un homme que je n'aimais pas, devint le propriétaire légal de ma mère et le mien, en m'adoptant sans que personne ne m'eut demandé mon avis, à la chambre des tutelles de Genève.

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L'ENFANCE (1931-1945)

Naissance
Plage de Nice 1931

Je naquis au milieu de cette fabuleuse et joyeuse époque d’entre deux guerres où, avant de se mettre à table, l'on disait le bénédicité debout, où chaque turpitude était sanctionnée d'une gifle ou d’une fessée immédiate, où l'on effectuait les corvées sans rouspéter, où l’on obéissait au doigt et à l'oeil à ses parents, à ses maîtres, aux adultes en général, mais où l'on s'ennuyait rarement sinon le dimanche matin, au sermon ou à la messe, mais surtout, le dimanche après-midi lors de la traditionnelle et morne promenade en famille.

Mon père naturel, Émil Benz, né le 26 juillet 1875, était le 11e enfant d'une famille de paysans argoviens. Ma mère, Elfried Höhener, née le 19 janvier 1901, à Walzenhausen (Appenzell) était fille d’un boulanger-pâtissier, originaire de Thal (Saint-Gall). Je ne suis pas tout à fait sûr de ces dates qu'il faudrait vérifier.

Mon père eut deux filles, nées à la fin du XIXe siècle. Je ne les ai pas connues. L'une, disait-on, se fit bonne soeur. La seconde, la préférée, Léni, se suicida.

Dans la famille, on affirmait que l'épouse légitime de mon père devint folle et passa sa vie dans un asile. Elle mourut peu de temps avant le décès de mon père (1962).
Je ne connus pas mes grands-parents. Mais j'avais des oncles, des tantes en abondance et une kyrielle de cousins, que, l'été venu, lors les grandes vacances, j'allais aider aux moissons, à la récolte des fruits, à la fenaison du regain, ou assister dans leur commerce.
Aux veillées, les anciens relataient l'histoire de la famille. Resté célèbre, un brin mythique, après plusieurs générations, mon trisaïeul, Johann Benz né au XVIIIe siècle, avait vécu une aventure exceptionnelle. A l'instar de bon nombre de nos compatriotes, le garçon s'engagea tout jeune comme mercenaire dans l'armée française pour ne pas mourir de faim et amasser un petit pécule. Enrôlé à seize ans, Johann fut de 1805 à 1812, de toutes les batailles de la Grande- Armée. Pontonnier, il réchappa miraculeusement aux glaces en débâcle sur la Bérésina lors de la retraite de Russie, mais laissa ses deux jambes sous la scie experte de Dominique Larrey.
Ses camarades le ramenèrent à dos d'homme, sur plus de deux cents kilomètres jusqu'à Varsovie d'où il fut rapatrié en Suisse sur un chariot. Cul de jatte, sans fortune ni pension reconnue, Johann griffonna ses souvenirs sur des cahiers d'écolier, en « schwizerdütch", au crayon, de sa belle écriture serrée. Je tentai bien de les déchiffrer mais, n'ayant ni les connaissances ni la patience d'un chartiste, je ne persévérai pas et les fameux cahiers sont perdus. Dommage, car d'après le peu que j'en ai lu, cela semblait un document exceptionnel.
Ma mère, Elfried Höhener était très belle. Elle avait deux soeurs: Fanny avec qui elle resta en compétition toute la vie et Anna, diaconesse. Leur père, boulanger à St-Margreten (canton de Saint- Gall), s'enfuit un jour sans prévenir, abandonnant sa famille, pour gagner l'Amérique. Mon père, Émil Benz, fonctionnaire des douanes, interrompit une carrière prometteuse pour la belle Frieda et l’emmena sur la Côte d'Azur où, ils vécurent quelques années de bonheur, à Nice.
Lorsque je m'agitai dans le ventre de ma mère, mes parents décidèrent que je naîtrai à Monaco afin de me conserver la nationalité suisse et d'éviter de devenir automatiquement Français. En effet, la Suisse avait heureusement conservé le "droit du sang".
S'ils adoraient le paysage, le climat, la douceur de vivre du Midi, il ne se firent jamais à la cuisine et au désordre français.
Ainsi, je naquis à Monaco en 1931, enfant de l'amour et du péché, fils d'un père catholique et d'une mère protestante, tous deux Helvètes, un dimanche à quatre heures du matin, un 22 novembre, à cheval entre le Scorpion et le Sagittaire. Déclaré sous le nom de Kurt-Émile Maino Höhener, les témoins figurant sur mon acte de naissance sont Émil Benz, mon géniteur et (illisible) le balayeur de la mairie. Le baptême fut remis à plus tard*.
*Souvent je prétendis avoir été baptisé à Nice, mais, comme beaucoup d'autres déclarations "défensives", ce n'était là qu'une fable. Je ne le serai que beaucoup plus tard.
Nice (1931-1935)
De ma tendre enfance, je garde quelques rares souvenirs dont je ne sais plus très bien s'ils sont réels ou le fruit de mon imagination.
Mon père faisait d'excellentes photos et ces documents ont pu, à un moment ou à un autre, interférer dans ma mémoire avec mes souvenirs propres.
Je me souviens de la Villa Margherita où nous demeurions, de son allée fleurie, de la promenade des Anglais où ma mère en chapeau me promenait en landeau; de la grève de galets de l'immense plage déserte où jouaient des vagues d'eau verte et bleue qui me fascinaient; des petits coquillages multicolores, des rameaux de corail et des bouts de verre polis et colorés que nous amassions dans un bocal servant de pied de lampe, de quelques magnifiques et gigantesques bateaux à voiles arrimés aux quais du vieux port.
Vaguement, aussi, je me souviens d'une visite à de proches parents, les Clausen, qui tenaient un hôtel-pension, 82, rue Georges Clémenceau, à Cannes et dont plus tard, après guerre, je tentai sans succès de retrouver la trace.

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Ma mère

Dans mes souvenirs d'enfant, ma mère était une jeune femme belle, vive, exubérante. Elle plaisait beaucoup, surtout aux hommes. Les femmes, en général, la regardaient de travers.
Elle n'avait pas fait d'études très poussées mais lisait énormément et s'intéressait à tout. Elle se liait facilement avec des inconnus, au grand dam de mon père, au tempérament beaucoup plus réservé et peut-être même un peu jaloux. Elle aimait plaire, s'exhibait dans des tenues extravagantes, posait avec complaisance sous les objectifs des appareils de photo ou des caméras de l'époque.
Ma mère a gardé ce goût du théâtre, de la parure provocante jusque dans ses vieux jours. A soixante-quinze ans encore, participant à des voyages lointains organisés par la ville de Genève pour les personnes du troisième âge, elle arborait des tenues incroyables, des chapeaux époustouflants, sans jamais éprouver le moindre sens du ridicule.
Enfant, je souffrais de ses extravagances, et je faisais tout pour me soustraire à ses exhibitions publiques. Pourtant, je dois le reconnaître, elle plaisait. Ses tenues excentriques, ses opinions paradoxales, son exubérance, son militantisme courageux pour des causes perdues d'avance, lui valaient l'admiration de personnes très diverses, aux quatre coins du monde. Elle entretenait d'ailleurs une correspondance immense, lettres de plusieurs pages, tapées lettre à lettre sur du papier de récupération sur sa vieille Adler. Elle écrivait aux journaux, aux édiles, aux gens célèbres pour défendre son point de vue ou protester contre des attitudes qu'elle jugeait abusives.
Adepte du nudisme, des plantes médicinales, des médecines naturelles, du jeûne, elle militait activement aux associations de protection de la nature, des animaux et de lutte contre la vivisection.
Croyante, (baptisée et confirmée dans la religion réformée), mais peu pratiquante, elle était convaincue de notre survie après la mort, de la réincarnation des âmes. Elle raffolait des histoires de fantômes, d'esprits errants, d’apparitions mystérieuses, de maisons hantées, de poltergeists. Elle croyait dur comme fer aux signes, aux rêves prémonitoires, à la suprématie de l'esprit sur la matière. Pour elle "vouloir, c'est pouvoir" et elle tenait pour absolument certain que la foi peut soulever une montagne selon la belle formule des Évangiles.
Maman avait tout un stock de récits qu'elle jurait véridiques où les miroirs se brisent, les pendules s'arrêtent, des tableaux tombent chez des personnes dont un proche vient de mourir.
Passionnée et passionnante, souvent exaltée, elle fraya dès son plus jeune âge avec les mouvements les plus divers tels les Témoins de Jéhovah, les Théosophes, puis les Anthroposophes. Elle fréquenta des spiritualistes renommés comme Werner Zimmermann ou Rudolf Steiner dont elle fut, à 23 ans, l’une des confidentes des derniers jours. Amie intime aussi de Yeronymus Zermac, le vieux sage de l'Engadine, un mystérieux occultiste, que l'on disait alchimiste et dont on prétendait qu'il possédait des pouvoirs immenses. Un jour que mon père se moquait devant ma mère de toutes ces croyances absurdes, elle me chuchota à l'oreille qu'il ne fallait pas rire de ces choses-là. Quelques décennies plus tard, en veine de confidences, elle m'avoua qu'elle avait vécu une semaine de jeûne auprès de Zermac dans sa caverne de l'Engadine, et qu'il lui avait tout appris. Je reparlerai peut-être un jour de cet étrange personnage dont j’empruntai le nom.

Mon père Benz

Mon père, était un homme conventionnel, carré de figure, dans sa tenue et dans ses opinions. Fonctionnaire des douanes, il avait débuté sa carrière à la base comme simple "Grenzwächter". Au cours des veillées dans les fermes ou les refuges du Club-Alpin, lors de nos randonnées en montagne, il me raconta ses longues gardes solitaires sur les chemins douaniers de haute et moyenne montagne des Grisons, où, chargé de débusquer les innombrables contrebandiers italiens et autrichiens qui tentaient d'écouler leurs marchandises en Suisse, il vécut un vie passionnante et dangereuse.
Une anecdote entre beaucoup d'autres : depuis quelques semaines, il voyait de plus en plus souvent un gros ours pataud traverser la frontière, un peu gauche.
Intrigué, il le guetta, le suivit, et, au petit jour, le prit sur le fait en train d'émerger de sa peau, à l'approche d'un village, avec sa cargaison de marchandises prohibées.
Une autre fois, avec un collègue, ce fut un gros sanglier solitaire qu'ils observèrent de loin, à la jumelle. En approchant, l'animal eut un comportement singulier. Le collègue de mon père, un peu nerveux, tira sur la bête et la stoppa d'une seule balle.
Lorsqu'ils la retournèrent du pied, ils aperçurent la couture de la peau. Un contrebandier était dissimulé dedans.
Intelligent et travailleur, mon père termina sa carrière comme sous-chef des douanes à Sankt-Margrethen, avant de démissionner pour partir à l'étranger avec maman.
Désormais sa carte de visite portait une précision dont il semblait très fier : "Pensionierter Zollbeamter".
M. Benz avait une haute idée de la fonction publique. Il considérait que l'État qu'il servait était le "Brotgeber", le "donneur de pain" du fonctionnaire.
Plus tard, me sentant frustré d'être l'enfant d'un père aussi peu représentatif, j'en fis un "directeur régional de douanes suisses", et expliquai qu'il fut nommé à Nice pour "réorganiser les douanes françaises" alors dans un état de désordre avancé.

Ses hobbies : la poésie, la photographie, la montagne et les timbres. Il écrivait des vers de sa petite écriture belle et précise. Il ciselait avec talent des poèmes lyriques ou de circonstance, d'une belle facture classique. Il les envoyait aux journaux de Suisse allemande où il avait la joie de les voir publiés. Il m'en reste un, un seul, tout le reste disparut. Mais en feuilletant les gazettes, on retrouverait peut-être cette poésie naïve et spontanée, aux vers réguliers, chantant la nature et la vie sans prétention.



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