mercredi 21 décembre 2016

22) MON ATELIER A BRUNOY - 1960-1967



Mon atelier à la campagne


Une petite annonce dans un quotidien me séduisit : «Brunoy, à louer petit atelier de peintre sans confort, dans un vaste parc près rivière et forêt. Petit loyer. Reprise justifiée.»
Cette proposition me fit rêver. Je montrai l'annonce à Fernande. Je téléphonai au numéro indiqué sur le journal et je pris rendez-vous sur place pour le dimanche suivant. Mon amie m'accompagna.
Oh! bien sûr, ce n'était pas aussi idyllique que dans le tableau qu'en avait dressé mon imagination. L'atelier était vraiment sans confort, les WC dans le jardin, comme chauffage un poêle à charbon avec un long tuyau traversant l'atelier.
Evidemment ni bains ni douches. Un simple évier pour la toilette, la vaisselle et la lessive. Un réchaud à gaz butane. Deux petits lits dans l'unique pièce très haute sous plafond. Une vaste cheminée. Mais le cadre était joli, le village ravissant. Il se trouvait à moins de vingt kilomètres du centre de Paris. Un train de banlieue conduisait à la gare de Lyon. L'affaire fut conclue, la reprise de 2000f payée par Fernande. Me voilà enfin chez moi. Pour sept ans. Avec un loyer de 30f par mois, à comparer aux droits d'auteur de 50 f à 1000f que je percevais mensuellement au forfait pour mes romans vite torchés.
Sept ans à écrire, à vivre libre de mes livres, totalement libre. Le paradis.


Madame de Ruaz
Mme de Ruaz la propriétaire, était la veuve du peintre Émile de Ruaz (1868-1931) qui connut une certaine notoriété vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle.
Son beau-frère, Jean de Ruaz, tenait une galerie de peinture cotée rue St Honoré à Paris, dans laquelle, étrange coïncidence, Louis Lhermine avait organisé, dans les années 50, une superbe exposition consacrée à mon ami Henry Espinouze et une autre au peintre turc, Fikret Moualla.
Mme de Ruaz louait une partie de sa maison à Mme Duval, enseignante retraitée, qui, à son tour me sous-louait le charmant atelier du peintre qui ouvrait sur le parc. Une jolie fresque d'Émile de Ruaz décorait le dessus de la monumentale cheminée de cet atelier.
Au cours de mes explorations je découvris d'ailleurs dans le sous-sol de la cave de Mme de Ruaz quelques toiles de ce peintre, des armes anciennes, des sabres de Samouraï que la vieille dame me donna volontiers.
Mme de Ruaz, petite dame torturée par les rhumatismes, au visage ratatiné comme une vieille pomme, vivait en solitaire, ne recevant jamais, restant des journées entières plongée dans de grandes lectures, préférant les Mémoires aux romans, les Journaux intimes aux biographies et aux récits historiques.
Elle vivait dans sa maison pleine de souvenirs, entre son chat et son cheval en liberté dans le parc, d'où il se réfugiait parfois de lui-même dans le box confortable qui lui était réservé, les jours de grand froid ou de trop forte chaleur.
Pour survivre, la vieille dame touchait les modestes loyers que lui payaient les locataires des trois maisons plus que modestes qu'elle possédait rue du Caire à Paris.
A soixante-quinze ans passés, le samedi suivant le terme trimestriel, elle attelait son cheval à son tilbury et gagnait la capitale par la route nationale, pour se faire remettre par les concierges de ses immeubles, comme il était alors d'usage, le montant de ses loyers qu'elles avaient encaissés pour elle.
Oh ! il ne s'agissait que de très petites sommes qui lui suffisaient, car ses propriétés étaient vétustes, et si l'eau était distribuée dans tous les étages comme il était annoncé sur les façades, le gaz s'arrêtait au troisième et il n'y avait qu'un WC à la turque par étage.
Mme de Ruaz profitait de ce voyage trimestriel pour rendre visite à son beaufrère, rue St Honoré, à qui elle confiait un quart de ses loyers pour qu'il les place, et déjeunait avec lui chez Prosper, attachant la bride de son cheval à l'anneau prévu pour cela sur sa devanture.
L'hiver, lorsqu'elle reprenait le chemin de Brunoy, la nuit tombait, et Mme de Ruaz s'arrêtait à la sortie de Villeneuve-Saint-Georges pour allumer la bougie du quinquet ornant son tilbury.
Il m'arrivait de passer des heures auprès de Mme de Ruaz à l'écouter parler du temps passé, des années folles du début du siècle, des soirées de bohême passées entre poètes et rapins, à refaire le monde, à disputer d'art, à boire, à chanter et à danser.
Elle me conta la petite histoire de Brunoy, de ce beau village, de ses artistes, de ses originaux, notamment celle de l'extravagant Marquis de Brunoy.
Mme Duval, ma logeuse, était un peu jalouse de ces entretiens dont elle se sentait exclue et me le faisait savoir.


Le Marquis de Brunoy
Le village de Brunoy date du VIIIe siècle, il figure dans les gestes du roi Dagobert sous le nom de Bruadanum.
Ce bourg, entre Paris et Fontainebleau, est célèbre par la curieuse histoire du marquis de Brunoy, gentilhomme fort riche et fort extravagant, disent les chroniques du temps, que je tente de reconstituer ci-après :
A dix ans, le gamin donna un coup de couteau à son percepteur qui lui faisait une observation et ce geste fut accompli en présence de vingt convives rassemblés autour de la table paternelle.
Le marquis se maria à vingt ans et sitôt après la messe ne voulut jamais revoir sa femme. Quelques mauvaises langues du temps disaient qu'il était de moeurs spéciales, un inverti...
Son goût préféré allait à l'organisation de somptueuses processions religieuses; il habillait les prêtres et les paysans de chasubles luxueuses y déployant un faste inouï, il régalait tout le monde, paysans comme grands seigneurs et la procession se terminait par une immense orgie. Il fit décorer l'église paroissiale comme un salon ou un boudoir de dame.
Mais il mit le comble à ses extravagances, à la mort de son père tué par le chagrin que lui causait sa méconduite.
« Tous les domestiques furent habillés de serge noire. Six aunes de la même étoffe furent distribuées à chaque habitant, les arbres portèrent des pleureuses.
Voulant donner à son château quelque chose de l'aspect qu'offre le cheval qui suit le convoi funèbre de son maître, il le couvrit d'un immense crêpe. Le canal coula de l'encre au lieu de l'eau et il poussa la frénésie du deuil jusqu'à s'informer, auprès d'un célèbre chimiste, des moyens qui existaient pour obtenir des chevaux des sécrétions lugubres.
Bref, il voulut et il obtint, que ses chevaux pissassent noir. »
Détesté des seigneurs, il anoblit ses valets et ses serviteurs : «son vigneron fut nommé marquis de la Chopine-vieille ; son tonnelier, marquis de la Futaillère; son sommelier, marquis de la Bouteillerie... depuis ce moment on vit, dans ce bourg fortuné, des marquis étriller les chevaux et aller faire la moisson ».
La procession de la Fête-Dieu du 17 juillet 1772 dépassa toutes les orgies précédentes. Le vin y coulait en fontaine. On établira en terre trois puits qu'on emplit de limonade. D'immenses bassins furent installés pour y puiser de la confiture; le marquis acheta vingt-cinq mille pots de fleurs et loua la présence de cent-cinquante prêtres, à plus de dix lieues à la ronde.
Cette procession fut sa perte; après bien des vicissitudes, Brunoy fut acquis par le comte de Provence, père de Louis XVI, et le malheureux marquis d’abord réfugié chez son ami François de Varennes au château de Bourron, mourut à Saint-Germain-en-Laye à trente-trois ans, victime d'une lettre de cachet.
Quant au comte de Provence il devint Louis XVIII !


Forêt de Fontainebleau
Fernande venait me voir une ou deux fois la semaine dans mon ermitage de Brunoy. De là, nous faisions des escapades vers la forêt de Fontainebleau qui représentait alors pour nous la merveille des merveilles. Ce massif forestier n’était pas encore pollué par l'automobile, l'autoroute n'avait pas encore mutilé l’ensemble par ses saignées de bitume. Ses futaies abritaient une faune très riche et plus de deux cents essences d'arbres et d'arbustes différentes, une variété infinie d’herbes, de fleurs, de mousses de lichens et de champignons.
Dans les grottes et les cavernes de ses dédales rocheux vivaient encore, en marge de la civilisation, des hommes libres, qui subsistaient des produits naturels de cette forêt enchantée, sans jamais en sortir. Ils se nourrissaient de baies, de racines, de gibier redevenu surabondant après la guerre.
Dans une caverne du Haut-Mont vivait une famille que nul garde ne venait importuner et dont les enfants couraient nus dans les halliers sans aller à l'école.
Non loin de Barbizon un couple de "coureurs des bois" logeait dans une caverne avec une chèvre qui leur fournissait du lait, un sanglier apprivoisé et quelques poules naines dont les renards prélevaient de temps à autre un spécimen. Ils disposaient même d'une mini source naturelle dont le filament d'eau ne suintait qu'épisodiquement, mais dont ils recueillaient l'eau très pure dans une outre de peau de sanglier.
En ce temps-là, le massif des Trois pignons hébergeait un ermite thaumaturge d'une maigreur épouvantable, véritable squelette ambulant, que venaient consulter de grands malades. Cet homme d'un autre âge était réputé guérir les maladies les plus graves.
Je soupçonne, - mais suis-je compétent ? - que le seul fait pour un malade incurable d'avoir à traverser une forêt "hostile" pour accéder à une grotte perdue dans un dédale de rochers, pouvait créer le "choc" salvateur, la réaction nécessaire à la guérison. Dans son ouvrage "L'Homme cet inconnu", Alexis Carrel expose très bien tout cela.
Dans les années 50, Pedro, un ancien légionnaire, s'était installé à l'orée de la forêt, côté Recloses, sur un terrain en friche où il vivait en autarcie. Il y avait construit une cabane, piégeait des faisans ou des lapins, ramassait selon la saison des baies et des champignons, élevait une chèvre et cultivait quelques plantes.
Pratiquant le troc, toujours aimable et serviable avec le peu de personnes qu’il rencontrait, Pedro passait pour un doux dingue. Il vécut ainsi sans problèmes jusqu'en janvier 1956, où le thermomètre descendit jusqu'à moins vingt degrés durant plus de dix jours.
Une voisine qui s'étonnait de ne pas avoir vu passer Pedro depuis plus d’une semaine en parla au maire du village qui se rendit dans le repaire du légionnaire accompagné de deux gendarmes. Ils trouvèrent Pedro dans sa cabane, à demi inconscient, à demi gelé, allongé immobile sur une paillasse entre sa chèvre et un jeune sanglier apprivoisé qui lui procuraient un peu de chaleur.
Miraculeusement sauvé, l'enquête de la gendarmerie révéla que l’ancien légionnaire bénéficiait d'une pension, certes modeste, mais qu'il n'avait jamais touchée depuis plus de dix ans qu'il vivait en sauvage.
Les quelques années passées à Brunoy passèrent comme un rêve, dans le bonheur et la solitude. Sans radio, sans téléphone ni tourne-disques, sans douche ni salle de bains avec des toilettes dans le jardin, avec pour seul confort un poêle à bois et à charbon, deux brûleurs à alcool et un point d'eau derrière un rideau, où me laver, laver mon linge et la vaisselle. Les WC, tenus propres, étaient dans une guérite dans le jardin.
Je travaillais comme un fou - dactylographiais au moins 3 ouvrages de commande par mois, avec pour seules distractions de grandes promenades à pied dans la forêt, l'achat d'une dizaine de livres de poche par mois soit d’immenses lectures. Je lisais aussi quelques journaux et me rendais deux à trois fois par semaine au petit cinéma qui se trouvait près de la pyramide.
Dès que j'avais terminé un roman, je le portais à Daniel Lebeau où à l’éditeur que me l'avait commandé, rendais visite à mes amis Youki et Henry, Jacques Yonnet, Durieux, Bastiani et quelques autres, passais une soirée ou deux au bistrot à boire et à chanter, séduisais une fille de rencontre pour terminer la nuit, avant de regagner Brunoy au petit jour par le train partant de la gare de Lyon, ou à pied quand il ne me restait plus un franc en poche.
Je vivais sainement et simplement. N'ayant pas de compagne attitrée à demeure, je confiais les élans irrépressibles de ma libido à ma main droite et grappillais l'aventure de passage au hasard de mes rencontres, le plus souvent à Paris ou dans le train.
Quelques amies venaient parfois me surprendre dans ma thébaïde et passaient quelques heures d'amour sur l'étroite banquette qui me servait de couche.
Quand il faisait beau, nous faisions l'amour dans les bois.


Je revois Lise
En 1961, Lise chercha à ma revoir et nous nous sommes retrouvés à Brunoy.
Le hasard de la vie avait voulu que libérée de prison après quelques mois de détention elle rencontra un jeune homme bien sous tous rapports, un homme riche et influent qu'elle n'aimait pas mais par qui, étant dépourvue de ressources, elle se laissa épouser.
Ils demeuraient Évry-petit-Bourg, de l'autre côté de «ma» forêt et il nous arriva, aux beaux jours de l'été, de nous donner rendez-vous à mi chemin, où, au pied d’un chêne vénérable, nous faisions l'amour à tout va.
En ce temps-là, la forêt de Sénart était encore, en quelques recoins retirés, une forêt sauvage, domaine réservé aux marcheurs, aux amants, aux coureurs des bois.
Je me souviens d'un jour que, allongés sous la futaie nous nous aimions à la paresseuse. Ayant confié mon vit à la bouche gourmande de ma compagne, j'honorais gentiment sa rose d'une aimable minette, lorsque je vis à quelques mètres de nous, un voyeur libidineux en train de se polir le chinois.
Je débandai aussitôt et laissant ma caresse en suspens, je chuchotai à ma compagne que nous étions observés. Mais Lise s'en moquait et plutôt excitée à l'idée de donner du plaisir à deux hommes à la fois, elle me suça avec art jusqu'à ce que je jouisse.
Lise était une merveilleuse amante et, les journées d'automne devenant plus fraîches, notre lit de feuilles mortes humide et rendu moins douillet par la chute des glands, elle me proposa un soir de venir chez elle. Je ne voulais pas, mais j’avais trop envie d'elle. Un jour j'y allai, malgré ma réticence. La demeure cossue sentait le fric, l'aisance d'un nouveau riche.
- Et si ton mari rentrait ?
- Ne crains rien, il passe à la télévision en direct et nous allons faire l’amour devant lui !
Et ma perverse compagne s'étant déshabillée, alluma la télé - une téloche à très grand écran s'il vous plaît - avant de s'allonger sur le lit conjugal m'invitant à lui faire l'amour en levrette tandis que son beau mari se faisait interviewer par une belle animatrice. Secrétaire d'État, quasi ministre, le mari de Lise était à la fois bel homme et un haut personnage de la cinquième république.
De faire l'amour à sa femme ainsi me gêna au début, mais comme cette situation semblait exciter Lise, je me laissais guider par elle jusqu'à l'explosion finale.
En fille experte et bien élevée, ma compagne me toilettait gentiment le vit jusqu'à ce qu'il reprenne tournure et, tout en observant son mari sur l'écran elle me suçait jusqu'à l'orgasme qu'elle buvait jusqu'à la dernière goutte.
Nos retrouvailles durèrent quelques semaines, mais sans exclusivité de part et d'autre. Une fois notre passion assouvie, avant que notre aventure ne sombre dans la médiocrité de l'habitude, Lise séduisit d'autres partenaires et je retrouvai mes amours tranquilles et mes chasses hebdomadaires.


Le chat médium de Jacques Yonnet
Mes amis Jacques Yonnet et Titine avaient la possibilité de partir en vacances pour la première fois de leur vie. Leurs Ginzburg les emmenaient dans une propriété provençale prêtée par un ami pour les deux mois d'été. C'était un projet de rêve.
Seul problème, à qui confier leurs deux chats, Royale et Perceval, car l'ami de leur ami avait deux gros chiens qui détestaient les chats.
Royale était une magnifique chatte angora blanche, à l'allure souveraine, au caractère indépendant dont Jacques affirmait qu'elle était "médium".
Perceval était son "fils" devenu au fil du temps son esclave et son souffre douleur. Chaque fois que Perceval tentait de vivre sa vie, d'échapper à l'autorité de sa mère, elle le gratifiait de quelques méchants coups de dents et de sérieux coups de griffes qui le blessaient cruellement. La marâtre l'empêchait même de se nourrir allant jusqu'à pisser et déféquer dans la pâtée qui lui était réservée.
A force d'être corrigé, le pauvre Percy avait les oreilles en dentelles, de larges plaques de poils arrachés par endroits laissant apparaître une peau meurtrie sur un corps efflanqué.
L'ami Guinzburg amena Jacques, Titine et leurs deux chats à Brunoy dans sa voiture et dès qu'ils furent libérés de leur cage, les deux félins s'ébrouèrent dans l'atelier. Royale fila une raclée à Perceval, selon son habitude, son fils encaissa sans répondre, habitué aux méchancetés gratuites de sa mère.
Ayant fait le tour du propriétaire d'un pas feutré, la mine dégoûtée, Royale se dirigea vers la porte fenêtre entrebâillée, glissa une patte énergique entre les deux battants et disparut dans le parc. Elle ne rentrera que le soir manger un peu de la pâtée préparée par mes soins, administra une nouvelle raclée à Percy avant de pisser sur le carrelage de l'atelier pour marquer son territoire ou me faire chier, ignorant avec dédain son plat de sciure.
Elle passera la nuit dehors tandis que Percy couchera sur mon lit, à mes pieds après avoir gentiment léché ma main et fait griffe de velours à mon avant bras.
Le lendemain, au petit jour, la grosse chatte souveraine reviendra une dernière fois administrer une nouvelle raclée à son rejeton, pissant et caquant dans l’atelier, avant de disparaître à jamais dans la nature.
Au bout de quelques jours, Percy libéré des sévices que lui infligeait sa mégère de mère, devint plus familier, mangea de bon appétit, retrouva un beau pelage sans trou de mites et prit de l'embonpoint.
Lorsque Jacques et Titine revinrent de leurs vacances j'étais bien embêté de ne pas pouvoir leur rendre les deux chats qu'ils m'avaient confiés. Mais en deux mois Percy était devenu aussi beau que Royale, si bien que durant une minute ou deux Jacques le prit pour elle.
S'ils furent déçus, mes amis ne me le montrèrent pas, et lorsque, à quelque temps de là je les revis rue des Écoles, Perceval trônait en souverain sur le bureau de Jacques, ayant remplacé sa marâtre de mère dans l'affection de ses maîtres.

Voisins et amis
Bien que vivant en solitaire studieux dans mon atelier niché dans un joli parc à l'abandon, je recevais des amis que mon éloignement de Paris ne rebutait pas trop.
Youki et Henry y vinrent pilotés par Roland Massot. Les Vinard accompagnés de Martin de Hauteclaire.
Christian Durieux avec deux filles aimables et jolies échantillons de son harem.
C'étaient toujours de joyeuses bouffes, un peu spartiates, vu l'état de ma bourse et de mes instruments culinaires.

Au fil des ans j'étais devenu le roi du couscous suisse, des calamars à la sicilienne, de la fondue valaisanne, du choux rouge à la flamande et du boeuf aux carottes. Tous plats économiques et copieux.


Henri Pollès (1909-1994)
En regagnant Brunoy par le train je fis un jour la connaissance d'Henri Pollès et de l'un de ses fils chargés de sacs débordant de livres et de vieux papiers.
Il vivait en famille, entre Pauline, une femme dévouée et compréhensive, et leurs quatre enfants, au 56 de la rue des Vallées, dans une belle vieille baraque pleine de livres de la cave au grenier, parmi les gravures, les bibelots, les tableaux.
Auteur de talent Pollès rêvait du prix Goncourt que ses amis lui promettaient depuis des lustres, sans qu'il obtînt jamais plus de 2 ou 3 voix.
Ami de Max Jacob, de Marcel Arland de Jouhandeau et de bien d'autres, son oeuvre était écrite dans une très belle langue appréciée par une élite ce qui hélas ne produisait pas de bestseller!
Il vécut pauvre, heureux, entouré de ses trésors de bibliophile, ne souhaitant le succès et l'aisance d'un prix littéraire rémunérateur que pour enrichir encore davantage ses collections.
Quand il n'écrivait pas, il chinait, fouinait, fouillait les marchés aux puces, les libraires d'occasion, les bouquinistes dont il rapportait avec son fils des sacs et des valises de merveilles.
D'ascendance paysanne - comme les deux tiers des Français de cette époque - Pollès était né à Tréguier, fils d'un capitaine au long cours et d'une fille de marin-pêcheur, il aima la Bretagne d'une amoureuse passion. Il chanta sa belle province des Côtes du Nord en vers lyriques et dans une prose fleurie. Il parlait parfaitement le breton (une langue alors vivante).
Sans jamais se cantonner à être un écrivain régionaliste, il versifiait dans cette langue, inventa de belles légendes d'après les récits recueillis au cours des veillées ou les contes de sa mère et de sa grand-mère.
L'un de ses premiers récits, “Sophie“, fut accueilli par la N.R.F. en 1932 et obtint un succès d'estime et de solides encouragements. En 1952, il reçoit le Prix Paul Morand de l'Académie Française pour - Sur le fleuve de sang, vient parfois un beau navire - . (encore la Bretagne) !
Un jour, il me semble que ce fut en 1963 ou en 1964 - je l'accompagnai aux abords du restaurant Drouant où le jury délibérait en festoyant. Pollès attendait le coeur battant la proclamation du Prix tant désiré et promis depuis longtemps, non pas par gloriole, mais pour renflouer ses finances délabrées et poursuivre sa passion du beau livre.
Dans sa maison de Brunoy, Henri Pollès avait réuni sans beaucoup de moyens, une des plus belles collections de livres et de manuscrits de l’époque romantique, faisant réaliser pour eux, par de petits artisans, des reliures exquises, des étuis luxueux - emboitages rares qu'il dessinait souvent lui-même. Mais, dans mon souvenir, ce qui caractérisait cet antre, c'était un énorme bric à brac, un magnifique foutoir devenant une oeuvre d'art originale.
Un jour de 1962, Pollès m'offrit “Les Drapeaux“ habillent mal, un énorme ouvrage autobiographique, idéologique, de près de 1000 pages, d'une typographie serrée, édité à compte d'auteur, que je mis plus de deux ans à lire.
En quittant Brunoy, fin 1967, je perdis Pollès de vue pour le retrouver, quelques années plus tard, à la librairie Anacréon, rue de Seine d'où avons rejoint mon ami William Fallet, bouquiniste sur les quais.
Sa maison débordant de livres, d'objets, de papiers, de gravures, Henri Pollès offrit dans les années 80 une partie de son trésor à la Bibliothèque municipale de Rennes. Bien lui en prit, car le 30 septembre 1994, l'écrivain succomba dans l'incendie tragique qui ravagea sa maison.
Hervé de Parscau du Plessis et Christine de Parscau née Campion en 1937 à Chocques, furent deux êtres de lumière apparus dans ma vie aventureuse. Jeunes, beaux, brillants, ils traversèrent ma bohême comme deux météores.
On me dit qu'Hervé disparut en 1992 au large de Perros-Guirrec.
Ils étaient beaux, rayonnants, comme Patrick et Clo de Givenchy que je rencontrerai quelques années plus tard.
Sortant de la gare de Brunoy, une nuit que je rentrais de Paris, sur la place devenue parking, un jeune homme penché à la portière de sa voiture me dit:
- Je m'appelle Hervé, Christine me dit que vous habitez près de chez nous ?
Puis-je vous y ramener ?
Surpris, mais pas interloqué par cette entrée en matière, je grimpai dans la voiture et cinq minutes plus tard nous étions rendus dans notre "quartier". Leur maison, en effet, se trouvait toute proche de la rue des platanes.
- Un dernier verre ?
J'acceptai.
Hervé de Parscau était pilote à Air-France, Christine hôtesse de l'air. Au cours de la conversation, Hervé s'excusant presque me dit que son épouse m'avait vu à plusieurs reprises rentrer à pied de la gare...
Nous avons parlé gentiment autour d'un whisky et lorsque je lui dis que j'écrivais notamment des romans d'espionnage, il me dit qu'avec quelques amis ils avaient fondé la revue Icare et que si j'étais intéressé je pouvais participer.
Par la suite, je devins un familier de leur demeure, de leurs amis et appris, au fil des semaines l'histoire de la famille de Parscau du Plessis.
Mais ce n'était pas de la bouche d'Hervé ni de celle de son épouse, trop discrets, bien trop modestes pour parler d'eux, mais de celle de leurs amis, notamment le généalogiste Hervé le Guen.
C'est lui qui me conta l'aventure héroïque de Guillaume François qui aux côtés de Duguay-Trouin participa à la conquête de Rio et me fit lire le "Journal Historique ou Relation de Ce Qui S'est Passé de Plus Mémorable dans la Campagne de Rio de Janeiro par l'Escadre du Roi Commandés par M. Duguay-Trouin en 1711".
J'appris aussi que la fortune et les terres familiale s'étant diluées au cours des partages entre héritiers, Hervé s'était généreusement investi dans les études de ses frères pour rehausser la fortune des siens.
Comme bien d'autres, je perdis les de Parscau de vue, croisai de temps à autre un pilote ou une hôtesse de l'air qui connaissait Hervé.
Lorsque, en 1990, je travaillai quelques mois en "atelier d'écriture" avec Jean- Paul Le Moël, commandant de bord à Air France, pilote de Concorde, Hervé de Parscau est venu dans nos conversations.

Sonia Vinogradoff
C'est tout à fait par hasard que je revis la belle Sonia, perdue de vue depuis mes "stations" chez Angela, la marchande de journaux du Boulevard Raspail.
Un jour que je pêchais dans l'Yerre, je vis sur la rive, une jeune fille élégante observant discrètement mon braconnage. Sans le savoir, je me trouvais en bordure de ses terres ! En effet, l'ambassade d'URSS à Paris avait aménagé sa datcha à Brunoy, en bordure de l'Yerre.
La rivière était encore propre et ses eaux paresseuses coulaient avec nonchalance entre des rives boisées, abritant de belles truites que j'allais parfois cueillir à la main, sous les racines ! Je n'y ai jamais fait de mauvaises rencontres, ni garde-pêche, ni garde-chasse ne surveillaient ses abords.
Lorsque mes prises étaient bonnes, je remontais jusqu'au Moulin de Jarcy où mes amis restaurateurs m'accueillaient à bras ouvert. Nous partagions fraternellement ma pêche et il n'étais pas rare, lorsque j'étais en bonne fortune, que j'y invitasse à déjeuner une amie de rencontre.
C'est que je fis ce jour-là!

***
Le Moulin de Jarcy
Benoît, le taulier, était amoureux de son Moulin et d'Oda, la jolie Abbesse qui avait construit son abbaye augustine autour de ce bijou.
Il était intarissable sur son histoire remontant au XIIIe siècle. Lui ayant parlé de mon appétence pour les cavernes et les souterrains, Benoît me prit à part et me faisant jurer le secret, m'emmena un jour "les yeux bandés" dans ses « catacombes" où mon bandeau retiré j'aperçus à la lumière falote d'une lampe de poche un vaste caveau humide, des vestiges de sculptures brisées, de reliques religieuses, de crânes et d'ossements. Posant un doigt en travers de ses lèvres, Benoît m’entraîna vers la sortie, replaça un bandeau sur mes yeux et me laissa sur ma faim.
A toutes mes questions, Benoît regrettant sans doute déjà de m'avoir laissé entrevoir son trésor, fit la sourde oreille.
A cette époque, le Moulin de Jarcy n'était qu'une très modeste auberge et n'offrait que trois chambres sans confort aux amoureux de passage amateurs de sieste crapuleuse.
Un jour Benoît me demanda de lui apprendre à pêcher à la main. Nous sommes restés deux heures sans rien prendre. Benoît n'avait guère de patience, remuait trop et fut vexé de notre échec.
Sonia fut enthousiasmée de cet endroit discret que je lui avait imprudemment fait connaître et y entraîna ses amis et amies du tout Paris bobo et coco, ce qui rendit hélas bientôt l'endroit infréquentable.


Nasrim Nasr'allah
Ce fut lors d'une virée en auto-stop dans le midi que je rencontrai Nasrim. Il moisissait depuis des heures au bord de la nationale, engoncé dans sa djellaba, tentant désespérément de trouver un automobiliste complaisant pour le conduire à Marseille. Il avait marché une partie de la nuit avant de s'endormir dans le fossé, dévoré par les moustiques. A son réveil, même scénario, quelques voitures ralentissaient mais dès qu'elles parvenaient à sa hauteur, elles accéléraient.
Pour ma part, je n'avais guère de problème. Vêtu d'un short blanc, arborant les couleurs suisses sur mon tee-shirt immaculé, un petit fanion sur le sac à dos et le béret de velours du berger frappé de l'édelweiss sur le crâne, je n'attendais guère au bord des routes!
Il était près de midi. Sans prévenir, Nasrim se retira à l'écart pour faire sa prière. Puis nous avons partagé nos provisions en frères, échangeant dattes et figues sèches contre un oeuf dur et des sardines à l'huile. De bonne humeur, je proposai à Nasrim d'échanger nos costumes, pour voir...
Ce fut très vite vu ! Déguisé en Helvète, Nasrim fut embarqué quelques minutes plus tard malgré ses cheveux crépus sous le béret et moi, pauvre con, suant à grosses gouttes sous ma djellaba, j'attendis plus d'une heure la première âme charitable qui voulût bien m'emmener sur le char tiré par un tracteur jusqu'au village voisin !
Mais j'avais vite compris la leçon. Je me changeai à nouveau derrière un buisson. Ayant replié la djellaba, je revêtis mon short blanc et tee-shirt de rechange, gardai à la main le fanion de mon sac à dos et repris la route agitant le drapeau dès qu'une voiture apparaissait.
Un Marseillais volubile, la main couverte de bagues, me fit monter à côté de lui et me raconta sa vie de long en large et en travers sans me cacher ses mésaventures conjugales et ses bonnes fortunes !
- Té, vous avez de la chance, en général je ne prends que les nanas ! Mais vous, dans votre tenue proprette de boy-scout et votre drapeau de la croix-rouge (!!!), vous m'avez intrigué...
- Oui, le stop ça marche plutôt bien pour moi. Alors que pour d'autres... Je lui contai alors les mésaventures de Nasrim et notre échange de vêtements !
Le Marseillais s'esclaffa !
- Mais, t'es tombé sur la tête l'Helvète ! En voilà une idée ! Te déguiser en bicot ! Même Guillaume Tell aurait raté sa cible! Faut être dingue ! Tous des voleurs, des feignasses, des pédés! Tu ne retrouveras jamais tes fringues...
- On verra bien ! Nous avons rendez-vous à l''auberge de jeunesse, et contre mes vêtements j'ai gardé sa djellaba !
- Heureusement que t'avais du rechange !
Mon conducteur se proposa de me conduire directement à Marseille. Je refusai poliment lui rappelant mon rendez-vous avec Nasrim !
Il me laissa à Lyon, en plein centre ville, sur les quais près de la place Belcourt.
Il me fila sa carte de visite et me dit "Tchao l'artiste!"
J'arrivai à l'auberge de jeunesse une heure après que Nasrim n'y fût arrivé !
Je lui dis :
- Tu sais, j'ai failli te trahir, te laisser en plan en gardant ta djellabah en souvenir! Mon pilote voulait m'emmener directement sur Marseille !
- T'aurais dû. Je t'aurais retrouvé !
- Comment cela ?
- J'aurais demandé à Allah où t'étais!
En bon mécréant que j'étais devenu je hochais la tête mais n'en pensai pas moins...
Le lendemain soir nous étions à Marseille où Nasrim avait de la famille. Il m'invita chez son cousin qui vivait à sept dans deux pièces étroites, mais dont l'accueil fut chaleureux. Seul bémol, sitôt qu'il me vit, Djallal consigna ses trois filles dans la pièce attenante où, le repas prêt sur la table, il relégua également sa femme.
Avant de nous séparer, lui vers l'Algérie en classe pont moi en stop vers la Côte d'Azur, Nasrim m'invita à revêtir une dernière fois sa djellabah. Et nous voilà marchant au petit jour dans le dédale des petites ruelles du quartier arabe de Marseille situé alors derrière le Vieux Port.
L'endroit était pauvre, misérable, peu d'Européens dans ces passages sombres aux couleurs bigarrées, aux odeurs fortes.
Mais soudain, ayant passé la porte effondrée d'une boutique à l'abandon, nous voilà débouchant dans un aimable jardin d'orient avec palmier, jolie vasque ouvragée recueillant le filet d'eau d'une fontaine, buissons de roses odorantes et de subtil jasmin !
Tout proche, le son aigrelet d'une flûte répond au rythme scandé d’un tambourin. Une porte franchie, une tenture écartée, et nous voilà dans une salle où, ébloui, je distingue avec peine quelques ombres blanches tournoyant gracieuses sur elles-mêmes dans l'obscurité.
Lorsque mes yeux se sont habitués à la pénombre, Nasrim ayant placé un doigt en travers de ses lèvres, me murmure à l'oreille : déchausse-toi, écoute et regarde !
J'assistai alors à l'un des spectacles les plus étranges qu'il me fut donné de voir. Durant des heures - mais le temps passa à la fois très lentement et très vite - je vis le ballet étrange de quatre danseurs puis de cinq lorsque Nasrim entra dans la ronde, évoluant sans bruit, pieds nus, dans leur costume caractéristique, robe blanche bouffante et gilet blanc à longues manches cintré à la taille, la tête surmontée de la longue coiffe beige sombre en feutre de chameau.
Au bout d'un certain temps je me sentis en transe, emporté dans un rêve inouï, dont je mis longtemps à m'extraire pour revenir sur terre.
Sans déconner, ce fut une des rares fois de l'existence que je me sentis « ravi", à la droite du Seigneur. Je n'ose même pas me moquer de moi-même à ce souvenir incroyable.
En revenant chez Djallal, par les ruelles misérables, étouffantes et bruyantes du vieux quartier, Nasrim me dit en peu de mots à quoi je venais d'assister.
Cette danse des derviches la semââ est née à Konya en Turquie, au XIIIe siècle, ville que l'on dit la première cité relevée après le déluge. On la doit à la rencontre improbable de Djalâl Mevlâna Rûmî, un immense poète mystique originaire de Bahl en Afghanistan et de Shams, un vieux derviche vagabond ne se nourrissant que de danse, de musique, de dattes et d'eau fraîche. Cette "danse des étoiles" traversa les siècles inchangée, avec son accompagnement céleste de flûte, luth et tambourin, neÿ, oudh et rikk (ou qanûn) jusqu'au XXe siècle, lorsque Kemal Atatürk interdit nos confréries qui se sont dès lors dispersées.
Si tu le souhaites, mon frère t'en apprendra davantage...
Au cours de ma vie il m'est arrivé à plusieurs reprises de croiser le chemin de Dieu, d'en être touché d'être tenté, sans jamais succomber à la foi.
Après une enfance chrétienne tiraillée entre catholicisme et calvinisme, une adolescence où je fréquentai Baha-Oullah, Marx, Lénine, Staline, subis une forte attirance pour quelques grands mystiques, je suis resté libre, malgré le chant des sirènes, la beauté indicible des messes chantées, mon séjour au Mont-Athos, une nuit au monastère de Montserrat au-dessus de Barcelone... dont je vous parlerai peut-être un jour.


Ma fidèle et hautaine Underwood. 




Me voici installé, libre et heureux, à Brunoy, dans mon atelier d'artiste niché au coeur d'un joli parc laissé à l'abandon, en compagnie de ma fidèle et hautaine Underwood. Je vivais avec peu d'argent, sans qu'à aucune moment je ne me sentisse pauvre ou exploité.




J'abattais de l'ouvrage, je pondais en deux ou trois jours de médiocres romans alimentaires que Daniel Lebeau me payait 500 f sans jamais les lire, ouvrages qu’il revendait 2000 f en marchandises à des éditeurs pornos qui les écoulaient le plus souvent par son intermédiaire.
Sa seule exigence : il fallait que toutes les dix pages il y eut une scène très hard, avec des mots crus, une scène à faire bander le lecteur populaire à qui ces ouvrages étaient destinés. Entre deux scènes pornos je pouvais donner libre cours à ma fantaisie et je ne m'en privais pas.
Daniel était un grand et beau garçon robuste, au visage d'empereur romain, aux yeux vifs mais méfiants, toujours aux aguets. Il recevait ses fournisseurs et ses clients à des heures où les flics dorment ou digèrent.
Je prenais mon pied à écrire ces «érotiques» comme on les appelait par euphémisme même si toutes ces pages étaient très éloignées de la poésie ou de la bonne littérature.
Mais elles représentaient dans la société un peu coincée d'alors une manière inoffensive pour tous ceux qui n'avaient pas accès aux péripatéticiennes ou aux compagnes libérées.
Jeunes gens boutonneux et complexés, célibataires réduits à la branlette, hommes mariés à de tristes haridelles, pouvaient grâce à un «porno» jouir vingt fois dans leur main en s'imaginant à la place du héros de leur roman.
Il m'arrivait parfois, lorsque j'étais en train de composer une scène d’amour particulièrement carabinée directement sur ma machine à écrire, de me sentir envahi par le plaisir, de bander comme un cerf et de jouir moi aussi dans ma main complaisante...
Évidemment, lorsque j'avais à mes côtés une compagne de passage, je la sautais sur le champ, sans apprêts, tel un hussard, avant de reprendre mon travail, les sens apaisés.
Et je dois avouer que certaines de ces petites récréations me laissent un souvenir inoubliable.
L'oeuvrette pondue j'allais à Paris par le train la livrer à mon commanditaire qui me la payait sur le champ, sans réflexion ni commentaire.
Souvent, l'éditeur était déjà là, et la transaction se faisait en ma présence, mon tapuscrit passant directement de ma serviette dans les mains du destinataire.
Daniel Lebeau avait monté un système d'édition et de diffusion de livres porno très rémunérateur, lui procurant de gros bénéfices, pratiquement sans risques.
Sous le couvert de l'officine du père Pineau, il disposait d'une part d'un réseau de distributeurs à travers la France et les pays francophones, ravitaillant les libraires, kiosquiers et autres points de vente.
D'autre part, il avait sous la main une demi douzaine d'auteurs (dont je faisais partie) capables de lui fournir rapidement de la matière première. Il revendait ces tapuscrits avec bénéfice à des éditeurs dont il était le diffuseur - sans exiger d'argent, mais seulement des livres...
La loi de la protection des mineurs stipulait qu'après 3 interdictions à l’affichage tout éditeur devait procéder au dépôt préalable ce qui handicapait la profession, cette loi était contournée avec succès par la prolifération des éditeurs fantômes, publiant rapidement de dix à vingt ouvrages «sous le manteau» et cessant leur activité lorsque de 3 à 6 mois plus tard le Journal officiel publiait les ouvrages interdits à la vente ou à l'affichage.
Mais ces interdictions intervenaient toujours trop tard, les ouvrages interdits étant écoulés depuis belle lurette et les «éditeurs de fortune» ayant changé d'adresse...
Il arrivait de temps à autre qu'un de ces pornocrates fît de la prison, mais c’était rarissime et cela n'arrivait qu'aux ingénus comme mon ami Isidore Isou par exemple qui pour survivre écrivit quelques superbes pornos.
A côté de ces petits romans lestes, je composais des romans d’espionnage, genre mineur mais très à la mode.
Les ventes de ces ouvrages populaires atteignaient alors des sommets. Les tirages des romans de Jean Bruce, Gérard de Villiers et Paul Kenny (pseudonyme commun à 2 auteurs) s'élevaient à des centaines de milliers d'exemplaires.
La performance des mes romans était beaucoup plus modeste. Le tirage de base se chiffrait à 30 000 exemplaires et les retirages au même nombre. Parmi mes bestsellers “Tchin-tchin en Chine“ - “Suicide en Suisse“, - “L’espion… nage“, Marathon au Japon, - KO à Macao ont vu leur tirage s'élever à près de 100 000 exemplaires.
Mais mes plus grands succès ont été les ouvrages que j'écrivais pour d’autres, en tant que nègre !

Editions de l'Arabesque Edmond Nouveau
Un autre éditeur de romans populaires issu de l'école Dermée s'était installé rue de la Grange-aux-Belles près de l'hôpital Saint-Louis : Edmond Nouveau.
A l'enseigne de l'Arabesque, il éditait des romans populaires dans des collections très diverses allant du policier au porno léger en passant par l'incontournable roman d'espionnage.
Une fois encore, ce fut André Héléna qui me le fit connaître et je publiai quelques titres dans ses différentes collections.
Mais j'avais peu d'atomes crochus avec Nouveau. En fait, mon indépendance l'agaçait. Il aimait travailler avec des auteurs qui lui devaient tout, des auteurs à sa botte qui acceptaient toutes les humiliations pour grappillé de quoi survivre.
Or, pour ma part, j'étais vacciné contre ce genre de négriers ! Je vivais avec peu d'argent, mais libre et sans dettes !
Lorsque je lui soumettais un tapuscrit je plaçais d'emblée la barre assez haut, lui disant quelle somme je souhaitais en tirer. Il refusait toujours ma proposition, levant les bras au ciel, disant que j'étais fou, ergotant, rabattant, marchandant, chipotant jusqu'à ce que je m'en aille... alors il me rappelait et m'offrait la moitié de ce que j'avais demandé au début de la négociation. C'était peu, mais très suffisant pour moi qui travaillais vite...
Un jour Fernande m'avait accompagné rue de la Grange-aux-Belles.. Elle gara sa voiture de sport sous les fenêtres, en face de l'éditeur. Lorsque je l'eus quitté, avec mon dû, et remontai dans la belle voiture aux côtés de la blonde conductrice, je l'aperçus derrière un carreau, arborant la tronche du jaloux.
Je levai la main, pour le saluer, arborant mon plus joyeux sourire. Il me semble que ce fut la dernière fois que je travaillai pour lui !


Montmartre
Après Jacques Yonnet qui m'avait fait découvrir à travers les bistrots et les clochards, la poésie du Quartier Latin, des Iles de la Cité et Saint-Louis, du Marais, je découvris Montmartre, ses personnages pittoresques et ses têtes à claques dans ses pas, ceux de Bob Giraud et de Jacques Hillairet.
Le Montmartre que je connus n'était déjà plus depuis bien longtemps le Montmartre bohême des grisettes, des rapins impécunieux, d'Aristide Bruant et des poètes sans le sou du début du XXe siècle.
C'était devenu un haut lieu du tourisme, de la malbouffe et de la prostitution.
Mais ici et là subsistaient quelques oasis de poésie et de mystère, quelques antres et quelques niches abritant des personnages survivant à l'invasion des barbares.
J'y fréquentai Patrice d'Hervalganthe, un peintre élégant et talentueux, le marquis de Saint-Sauveur homme d'affaires avisé et mécène, Marina Martignoli ancienne prostituée devenue la sainte protectrice des filles.
Nos nuits à Montmartre commençaient généralement chez Pedro dont le caveau de la rue des Martyrs communiquait avec les carrières souterraines, se poursuivaient impasse Marie-Blanche, chez René Cousinier, un joyeux pied-noir surnommé René-la-Branlette, pour se terminer chez Patrice ou chez Marina, le marquis étant notre trésorier-payeur mécène.
Parfois j'entraînais Jacques Yonnet jusque là, et il se mettait volontiers à chanter, dessiner, ou raconter des histoires. Plusieurs sketches de René étaient inspirés par les improvisations de Jacques. Pour ma part, j'écoutais, approuvais, applaudissais, j'étais bon public, le faire-valoir de la petite bande.


Patrice d'Hervalganthe
Patrice Dervelgante (ou d'Hervalganthe) (je n'ai jamais su écrire correctement son très beau nom) était un grand garçon élégant. Il possédait un charme qui faisait tourner toutes les têtes, tant des jeunes filles que des vieux beaux, des pédés ou des femmes mûres. Il était à lui seul la joie de vivre et le talent. D'un seul trait de crayon, sans retouche, il dessinait un chef d'oeuvre; de quelques coups de pinceau il créait sous nos yeux époustouflés la plus somptueuse des gouaches.
Ses portraits de femmes étaient non seulement exquis, originaux, modernes, mais aussi très ressemblants sous leur apprêt d'avant-garde.
Patrice avait trop de talent, trop de facilité et n'aimait pas assez l'argent pour réussir dans le monde des galeries d'art. Il donnait volontiers ses oeuvres qu'il ne signait jamais, qu'il n'eût vendues pour rien au monde et refusait de négocier un contrat sérieux avec les marchands qui l'exploitaient honteusement les jours de disette. Il vivait de l'air du temps, comme l'oiseau sur la branche, il se donnait avec générosité sans se soucier du lendemain.
Dans l'ombre, le suivant à la trace, toujours à l'affût, un affreux vilain bonhomme, courtier rapace comme il en existait pas mal dans le secteur, ramassait, rachetait pour trois francs six-sous tout ce que dessinait, peignait, créait Patrice et, avec le culot des grands escrocs signait ses oeuvres d'un nom d'artiste inventé et dont il se réservait l'exclusivité.
Le beau et généreux Patrice Dervelganthe vécut libre et heureux, passant dans notre ciel tel un météore, avant de se pendre un soir de spleen à la poutre maîtresse de son atelier, nous quittant ainsi sur la pointe des pieds.
L'ignoble marchand de tableau racheta toutes les oeuvres au commissaire-priseur chargé de disperser l'atelier de Patrice qui n'avait pas de famille, les signa à sa place et lança avec succès sous sa griffe l'artiste méconnu qu'il avait escroqué de son vivant.
L'abominable fit rédiger par un nègre une biographie imaginaire sans qu’un journal courageux n'osât dénoncer cette mascarade.
Ce mafieux et ses héritiers ayant le droit pour eux, menaçant tout auteur révélant leurs mic-mac frauduleux, je ne révélerai leurs noms que lorsque les ans auront passé…



Marc Dahl
Lorsque je le connus, Marc vivait rue de Rennes avec sa compagne, une jeune bourgeoise nantie qui l'aimait et l'entretenait depuis des années, tendre, attentive.
Elle tirait depuis des années de confortables revenus d'une chaîne de garages du Nord de la France, dirigés par son frère.
Un jour, Marc souhaita vivre à Montmartre, et le couple s'installa dans une maison de rêve face à la célèbre vigne située sous ses fenêtres.
Marc vivait dans un univers étrange, une cour d'admiratrices bas-bleu un peu maso qui buvaient ses paroles et lui faisaient don de leurs corps en échange de coups de gueule et de coups de trique.
Marc n'est pas beau mais doté d'une intelligence rare. Grassouillet, bas sur pattes, avec une tête de mongol, sa voix possède un charme subtil qui chavire les demoiselles.
Germanophile, il aime Wagner, la poésie épique espagnole, Goya, la tauromachie et Franco. Il parle de ces sujets avec enthousiasme et une ferveur communicative et ne dédaignait pas dire tout haut son admiration pour le Troisième Reich et son Führer, dont il affirmait qu'ils seraient réhabilités dans moins d'un siècle.
Les soirées fastes de la rue de l'Abreuvoir, baignées de littérature et de musique, restent parmi les plus enrichissantes que j'ai vécues.
Dans cet intérieur à la fois bohême et cossu, aux murs tapissés de livres et de beaux tableaux, j'ai appris à apprécier Brahms et Wagner qui jusque là me rasaient et découvert des écrivains et des poètes dont le charme m'avait échappé jusque là.
Quant à la tauromachie sa brutalité sanglante m'a toujours écoeuré et j’ai toujours refusé d'assister à une corrida même si, les dessins que Picasso lui consacra me fascinaient.
Marc et sa compagne avaient une bonne cave, une table généreuse et opulente. Ils logeaient volontiers dans leurs chambres d'amis leurs invités attardés lorsque les veillées se prolongeaient au-delà du dernier métro.
Marc était également poète de talent, même s'il préférait par modestie dire les vers des autres plutôt que les siens.
Généreux à la limite de la prodigalité, Marc partageait ses trésors avec celui ou celle qui lui faisait part de son admiration pour un dessin, un disque ou un livre qu’il possédait.
Ainsi, je reçus de ses mains une magnifique gouache d'Ambrogiani, un facteur corse dont il s'était entiché. Un petit chef d'oeuvre que je garde encore précieusement.
Il possédait l'une des plus belles collections de disques de Wagner qu’il écoutait jour et nuit.
Je ne sais ce que son devenus Marc Dahl et sa compagne. Selon ma détestable habitude de vagabond, je les perdis de vue en quittant Montmartre pour fréquenter d'autres quartiers et nouer de nouvelles connaissances.

Le Grand Damier Editions Atlantic
Serge Krill était le frère de Guy Krill l'associé d'Armand de Caro fondateurs des bientôt célébrissimes Éditions du Fleuve Noir.
De Caro et son associé découvrirent ensemble les avantages de la société de consommation et vivaient en nouveaux riches, étalant sans vergogne leur fortune dans de rutilantes voitures américaines, des bateaux de luxe, des voyages de nababs, des demeures de satrapes.
Dans le milieu bourgeois de l'édition française traditionnelle, ces illettrés mégalo dont la production atteignait des tirages insolents surpassant ceux des collections les plus renommées, agaçaient.
Exhibitionnistes et triomphants ces nouveaux "marchands de papier" l’étaient aussi dans leur intimité familiale et leurs outrances publicitaires.
Et un jour d'été, jour de grand départ en vacances, un accident meurtrier vint interrompre brutalement leur brillante association.
On parla à mots feutrés de suicide, voire de meurtre déguisé, mais sans que l'enquête diligentée aboutisse à une anomalie.
Serge Krill, modeste tailleur, hérita des parts de son frère.
Armand de Caro les lui racheta un bon prix pour régner sans partage.
Mais cette réussite donna l'envie à Serge de suivre son exemple en devenant à son tour éditeur de romans populaires.
C'est ainsi qu'il fonda rue d'Ulm les "Éditions Atlantic et du Grand damier » devenues "Éditions Atlantic" avant de devenir plus modestement les "Éditions du Gerfaut". Mais Serge Krill ne parvint jamais à égaler, même de loin, le succès du Fleuve Noir.
C'était l'époque où de simples tailleurs devenaient de riches marchands de tableaux, où de modestes employés magasiniers ou comptables de maisons d'édition, supplantaient leurs employeurs. J'ai connu quelques-uns de ces « glorieux" dont je parlerai peut-être un jour.

Serge Krill et Jacques Dubessy
Au début des années 60, la vogue du roman populaire était à son apogée. Des collections policières comme la Série Noire, le Fleuve Noir, les Presses de la Cité et d'autres moins connues tenaient le haut du pavé. C'était un nouveau Far-West.
Après la Libération, durant deux décennies, des centaines d’entrepreneurs ambitieux, souvent sans culture, se lancèrent dans l'édition non par goût de la bonne littérature mais pour gagner de l'argent. Ainsi se répéta dans le domaine du livre et de la presse le même phénomène que dans la peinture où, durant l’entre-deux guerres, la peinture moderne, souvent informelle ou abstraite explosa, phénomène que nous retrouvons aujourd'hui avec l'internet et l'i-business.
Serge Krill était un ancien tailleur bien sage, toujours tiré à quatre épingles. Il était le frère de l'associé d'Armand de Caro, éditeurs autodidactes arrivés au bon moment sur le marché juteux du roman populaire. Leur réussite insolente leur permit en quelques lustres de bâtir l'un des plus importants empires éditoriaux de toute l'histoire de l'édition française.
Armand de Caro avait travaillé comme comptable rue des Moulins chez Dermée le petit génie de l'édition populaire, avant de s'associer, bien plus tard, avec le fondateur d'un autre empire de l'édition populaire : Sven Nielsen, propriétaire des Presses de la Cité.

L’Age d'or de l’édition populaire
En ces années d'après guerre, l'édition populaire représentait pour les entrepreneurs un véritable Far-West. Chaque mois des dizaines de petits éditeurs se lançaient sur le marché avec des productions le plus souvent médiocres, des ouvrages bâclés, recelant ici et là quelques pépites, des auteurs remarquables. La recette de base de la plupart de ces ouvrages consistait à mêler sexe, crime, guerre, violence... pour appâter le lecteur lambda. Parmi ces forbans illettrés: le fameux Pierre Delalu (qui se disait proche de Pierrot-le-fou), poursuivi pour pornographie et qu'André Héléna  cacha dans son grenier.
Pierre Turpin, un charmant garçon, militaire de son état, s'était mis à collectionner dès l'adolescence, ces ouvrages méprisés par les bibliothécaires, les universitaires et les gens de lettres bien que, en secret, tous les lisent ouvertement ou en cachette sous prétexte de se détendre de leurs fatigues intellectuelles.

Pierre Turpin
Né à Bourges le 7 juin 1930 sous le signe des Gémeaux, Pierre Turpin noua une correspondance active avec ces auteurs populaires et leurs éditeurs. C'est ainsi que les amateurs de polars en particulier et de romans populaires en général, découvrent le nom de Pierre Turpin dans les fanzines consacrés au roman policier.
Comme d'autres collectionnent les timbres ou les papillons, Pierre rassemble, trie, classe, met sur fiches les informations sur les auteurs, les éditeurs, les littératures parallèles. «Ma passion c'est, en dehors de mon travail professionnel, ces heures que je consacre à des travaux de mise à jour, de collationnement, d'archivage, de classement, tout en lisant ces romans qui m'enchantent.» Jamais Pierre Turpin n'aurait envisagé de rédiger des articles ou des notes sur tous les livres qu'il avait patiemment engrangés si le regretté Jean Leclercq ne l'y avait d'abord encouragé puis amicalement contraint.
La vie simple d'un homme curieux de tout.
Adolescent, Pierre apprend le métier de menuisier dans une école professionnelle. Il quitte la menuiserie pour l'agriculture puis abandonne les champs pour la banque.
Sa passion débuta dans les années 50 par une boulimie de cinéma. Il constitua un fichier sur les films et découvre à cette occasion que, parfois, un film pouvait être tiré d'un roman. Sa passion se reporte dès lors sur les textes.
Ce qu'il avait entrepris pour les films, il le poursuit désormais pour les romanciers populaires. Il accumule les romans, neufs pour ses auteurs préférés, d'occasion pour les autres. Au fur et à mesure des possibilités offertes par sa bourse, il augmenta son "parc" destiné à héberger ses poulains.


Une bibliothèque considérable
Il lui est difficile de préciser le nombre de livres qu'il a acquis à ce jour. Disons, de l'ordre de 40.000 en comptant les fascicules et les petits romans.
Parallèlement à ces achats, il recueille les échos et les articles parus dans la presse, découpe les photos ou les portraits des auteurs, accumulant ainsi une documentation considérable uniquement pour le plaisir et aucunement en vue d’une exploitation quelconque. Personne d'ailleurs, hors des innombrables lecteurs de cette "littérature de gare" comme on l'appelait alors, qui se contentait de lire, ne s'intéressait vraiment aux auteurs. Quelques vedettes exceptées.
Lorsque Pierre Turpin pensait tout connaître d'un auteur, un pseudonyme "évadé de l'anonymat remettait tout en cause". C'est ainsi, pour en savoir plus, qu’il entreprit de se renseigner directement à la source, en écrivant aux auteurs. Mais cette démarche ne fut pas toujours bien comprise par les intéressés eux-mêmes.
En effet, dans le monde de l'édition populaire existait alors une lutte acharnée entre des éditeurs voulant conserver pour eux seuls leurs meilleurs auteurs, ceux qui vendaient leurs romans à des centaines de milliers d'exemplaires et faisaient leur  fortune.

La chasse au pseudonyme
Ainsi, le contrat signé par un auteur du Fleuve Noir le liait à son éditeur pour la vie. Il n'avait pas le droit de travailler ailleurs, même sous pseudo. A part certaines grosses cylindrées comme les Paul Kenny, Jean Bruce, San Antonio et quelques autres, un auteur gagnait parfois chichement sa vie et ce n'était qu'en pondant des ouvrages à la chaîne qu'il s'en sortait.
Voilà pourquoi, lorsque Pierre Turpin menait ses investigations chez les auteurs et leurs éditeurs, certains le prenaient pour un espion ! Et puis, des auteurs ne voulaient pas avouer qu'ils écrivaient des romans licencieux ou franchement porno à une époque où cela pouvait mener l'éditeur ou l'écrivain en correctionnelle.
C'est à partir des années 60 que Pierre Turpin entreprend une correspondance active avec les auteurs et leurs éditeurs dont certains deviendront ses amis.

Un monument incontournable
En quelques années il deviendra le spécialiste incontesté du roman populaire et, par son amour de la littérature, son travail acharné et sa gentillesse, il parviendra à redonner ses lettres de noblesse à ce genre jusque là méprisé par les dictateurs de la Culture.
Aujourd'hui Pierre Turpin est devenu un monument incontournable de l’édition tout court. On le sollicite de toutes parts pour des articles, des collaborations à des ouvrages collectifs, des symposiums ou des tables rondes. Il est le Sage vénéré par les fans du roman populaire, la mémoire vivante de cette littérature aujourd’hui réhabilitée souvent grâce à lui.

Une fondation Pierre Turpin
Nous aimerions que le Ministère de la Culture qui jette des millions par les fenêtres pour soutenir des projets stupides accorde une subvention à Pierre Turpin pour pérenniser son oeuvre et lui permettre de maintenir et d'augmenter ses précieuses collections. Quelle commune de France disposant d'un local inoccupé s'illustrera en créant le Musée de la littérature populaire, dont elle s'honorera de confier la direction à Pierre Turpin.

OUVRAGES AUXQUELS COLLABORA PIERRE TURPIN :
VOYAGE AU BOUT DE LA NOIRE
Éditions de l'Instant (1986)
LE VRAI VISAGE DU MASQUE
Deux volumes parus aux Éditions Futuropolis (1984)
DICTIONNAIRE DES LITTÉRATURES POLICIÈRES
Sous la direction de Claude Mesplède Deux volumes parus aux Éditions K (2003)


*****

Maurice Poulain
J'ai rencontré Maurice Poulain dans le métro. C'était un garçon sympathique, raffiné, discret, bon comme le bon pain et généreux comme un bon vin. En devisant, nous nous sommes découverts confrères en écriture populaire. L'amusant, c'est que nous avions rendez-vous chez le même éditeur, à peu près à la même heure.
Ainsi nous sommes-nous retrouvés rue d'Ulm dans l'antichambre du Grand Damier.
J'ai rencontré un autre ami, devenu très cher, à peu près de la même façon : Pierre-Jack Tollet dit Toto. Mais ceci est une autre histoire...
En effet, un jour, sortant du métro Luxembourg, manuscrit sous mon bras, un petit homme souriant et sympathique sous son chapeau de feutre m'interpelle:
- Savez-vous par où je puis gagner la rue d'Ulm !
- Par là, sur la droite, puis deuxième rue à gauche... Vous y serez, dis-je en poursuivant mon chemin.
Plus jeune, je marche plus vite que mon interlocuteur et me voilà prestement rendu au Grand Damier. Mais voilà que poireautant dans l'antichambre, je vois arriver mon petit bonhomme, portant lui aussi un manuscrit sous le bras! Je reparlerai certainement de lui car il tint une place importante dans ma vie.
Quant à Maurice Poulain, je le revis souvent et j'aimais beaucoup ce qu’il écrivait. Romans policiers, romans d'espionnage, romans de guerre, il publia des dizaines de romans, la plupart sous divers pseudonymes.
A l'opposé de la plupart des autres écrivains, il n'hésitait pas à vous recommander à ses éditeurs, à vous donner un coup de main. Il avait une adorable compagne vietnamienne qui tentait de brider au mieux ses tentations d'aventures en marge de la légalité. Elle ne parvint pas à l'empêcher d'enfreindre la loi, de confondre roman et vie réelle, il se permit quelques coquetteries envers la propriété d'autrui qui lui valurent de longs séjours en prison.
Mais Maurice Poulain étant un garçon franc, sympathique, travailleur, bon camarade, sans histoires, il occupa à plusieurs reprises le poste de bibliothécaire à La Santé, ce qui lui permit d'écrire et de s'instruire aux frais de l'État.
Il a publié plus de 100 ouvrages policiers, espionnage, sexy, guerre, etc, sous une vingtaine de pseudonymes, parmi lesquels Max Jordan, Maurice Monfort, Nicolas Doazit, Alain Guyenne, Maurice Hemman, Max Jordan, Gunther Klein, Manuel O'Shara, Friedrich Soffker, Andrew Stacy, Boris Stardine, Dimitri Starkov, Ivan Tcherko, Helmuth Zorn. A la fin du XXe siècle, il a écrit un livre de souvenirs aujourd'hui très recherché: Dieu hait les rites au «CLEF».
En tout cas c'est à Maurice Poulain que je dois d'avoir pu mettre le pied à l'étrier lors de la fondation des Presses Noires.
J'ai revu Maurice de temps à autre, lors de ses remises de peine. Mais comme pour cent autres amis de passage, je l'ai perdu de vue.

Thomas, ses deux compagnes
Mon ami Thomas demeurait 4, rue Dupin à Paris (tél: LITré 06-40) et possédait le Moulin de la Goulette près de Dordives dans le Loiret. (Je donne ces précisions car j'aimerais retrouver de ses oeuvres et quelques souvenirs de sa vie d’artiste).
Thomas était un personnage hors du commun. Entre les deux guerres, à la mort de son père, il devint propriétaire d'une manufacture d'automobiles à Marseille.
Mais sa vocation était tout autre que celle de la mécanique.
Aussi, une fois libre de toute attache et obligations familiales, Thomas vendit son usine et monta sur Paris où, lesté d'un bon pécule, il se livra à sa passion: la peinture.
Il sut garder sa liberté, même lesté d'une femme et d'enfants, et pour se sonner du champ, il acheta dans le Loiret un beau et vieux Moulin sur le Loing, situé entre Dordives et Nangis, relié aux deux rives par des passerelles branlantes aux traverses desquelles il manquait pas mal de planches.
Le bâtiment délabré était magnifique, haut de plusieurs étages mais une véritable ruine à entretenir et à maintenir en état. Tour à tour Moulin à grains, puis lunetterie avant d'être transformé en usine à jouets, le Moulin de la Goulette avait une longue et belle histoire.
Aussi Thomas ne l'entretenait-il pas, le laissant vieillir naturellement, se contentant d'occuper deux ou trois vastes pièces dont un atelier où travailler.
Il vivait là, à la belle saison, avec deux jeunes lesbiennes, filles originales, belles comme le péché, qu'il entretenait à sa manière et qui lui servaient de modèles et de compagnes.
Thomas était un admirable dessinateur, un graveur consciencieux, et si son oeuvre n'est pas des plus connues, du moins a-t-elle la faveur de quelques collectionneurs marseillais renommés.
Les soirs de beuveries où des dizaines de Parisiens débarquaient faire la fête en son Moulin, Thomas contractait une assurance spéciale pour se couvrir contre les accidents toujours possibles.
Car s'il était plutôt sportif d'accéder au Moulin de la Goulette par la passerelle côté Dordives, côté Nangis c'était acrobatique.
Quant au retour nocturne, après de glorieuses beuveries, cela tenait du parcours du combattant.
Je me souviens d'une nuit où deux des invitées firent un plongeon imprévu dans la rivière et où nous eûmes pas mal de la peine à les récupérer.
Heureusement, en temps normal, le cours d'eau n'est pas méchant à cet endroit et si l'eau peut être fraîche, l'on de tombe pas de trop haut !
Mireille et Pastourelle, les deux amies de Thomas étaient des filles épatantes.
Jolies, heureuses de vivre, gaies, elles savaient tout faire et, en leur compagnie on ne s'ennuyait jamais. Elles lui tenaient lieu de gouvernantes, de soeurs de charité, de femmes à tout faire et de collaboratrices.
Mais un jour, au début des années 60, il leur prit l'envie d'un retour à la terre, de jouer aux fermières. Elles s'en ouvrirent à Thomas qui ne les découragea pas, leur offrant même la somme nécessaire à leur installation.
Nous voilà donc un jour conviés à la pendaison de la crémaillère du Domaine des Pastourelles, du côté de Montargis, où les deux jeunes filles avait emménagé dans une belle ruine avec trois chevaux, deux chiens, un tracteur, vingt brebis, dix vaches, une myriade de poules et de canards! Mireille et Pastourelle connaissaient peu de choses à l'élevage et à la culture de la terre. Mais elles étaient courageuses et motivées.
Et, dans un temps où le travail aux champs était rude, où les exploitations fermaient les unes après les autres, voilà que nos deux fermières d’opérette vécurent trois années d'un véritable rêve malgré la boue et la gadoue, les bêtes malades, des agnelages difficiles, des pannes de tracteur à répétition et mille autres contrariétés qui ne parvinrent ni à les décourager, ni à leur faire perdre leur enthousiasme.
Il est vrai qu'après avoir vécu trois ans de galère, surmonté tour à tour épizooties, crise de l'agriculture, mévente des veaux et mille autres tracas, nos deux vaillantes lesbiennes ne refusèrent pas l'offre d'un fermier voisin désireux de s'agrandir et acceptèrent avec joie l'hospitalité du brave Thomas au Moulin de la Goulette.
Je perdis de vue ces charmantes amies comme je perdis de vue Thomas et bien d'autres copains de cette époque, mais le souvenir des heures chaleureuses, des nuits de chansons et de ripailles passées en leur compagnie reste en moi indélébile.
Paul, je l'ai déjà raconté, était un ami merveilleux. Nés tous deux en 1931, nous avions le même âge. Lui au mois d'août était Lion, moi au mois de novembre: Scorpion. Éternel second, je vivais dans son sillage, buvais ses paroles, m’épatais de ses exploits, de ses conquêtes, de ses réussites.
D'une nature généreuse, plutôt snob, un peu vantard, il avait le verbe haut, la voix gaie, un éternel sourire aux lèvres.
A cette époque, dans les années 60, sa silhouette s'arrondissait et il ressemblait à l'humoriste Tisot, imitateur du général de Gaulle.
Il aimait les voyages, la grande vie, les jolies filles et la bonne bouffe. Sa profession de journaliste au Dauphiné Libéré, spécialisé dans les rubriques automobile, aviation et tourisme lui permettait de s'éclater au volant de belles voitures que les représentants de marques espérant un bon papier lui prêtaient durant un week-end, avec un plein d'essence.
Des compagnies d'aviation, des complexes touristiques, des hôtels de luxe avides de publicité l'invitaient aux quatre coins de France, puis du monde, pour un séjour de rêve.
Durant ces années faciles que l'on appela les "trente glorieuses" tout le monde croyait au progrès illimité, à un avenir prospère et radieux, aspirait au confort et à l'aisance.
Pour ma part je vivais simplement, sans confort et sans grands besoins dans ma thébaïde de Brunoy. Stakhanoviste de l'Underwood comme m'avait baptisé Paul dans un de ses papiers du Dauphiné Libéré, je pondais des livres à la commande, sans aucune ambition littéraire, au service de tous les éditeurs qui voulaient bien de ma prose.

Ver solitaire
De 1960 à 1967 entre 28 et 35 ans, je vécus quelques années à la fois d'intense activité, de solitude et d'immenses lectures. Je subsistais, je l'ai dit, de la vente de mes tapuscrits. Et, selon les critères de ce temps-là temps, j'en vivais plutôt bien. Dans mon atelier d'artiste je disposais du courant électrique, d'un robinet d’eau courante au-dessus d'un évier, d'un réchaud à alcool, d'un fourneau «Coste» que j'alimentais selon mon budget et les circonstances, de boulets d'anthracite ou de bois fendu.
Deux étroits lits spartiates superposés, de frêne clair, une table de travail, un fauteuil de rotin et des livres partout.
Un jour, mon ami Jacques Dubessy directeur du Grand Damier, vint en voisin - il habitait près de Melun - m'aider à monter une bibliothèque. Une bibliothèque que je jugeais magnifique où je pus loger au moins 300 livres. Aux murs revêtus d'un papier ocre pisseux, des tableaux parus dans Paris Match ou des coupures de presse.
Seul luxe, une cheminée monumentale surmontée dans un médaillon de plâtre incorporé à la structure une peinture d'Émile de Ruaz (1868-1931). L'atelier ouvrait sur le jardin, par une porte vitrée et un escalier en pierre de quatre marches, sa façade orientée nord-nord-ouest était elle aussi entièrement vitrée. Des rideaux de plastique protégeaient mon intimité d'une éventuelle curiosité extérieure.
Les WC se trouvaient dans une petite guérite dans le jardin, placée au-dessus d'une fosse. Un broc d'eau en fer émaillé permettait de tenir propre ce lieu d’aisance comme on appelait en ce temps-là cette sorte d'édicule.
Ce fut là, à Brunoy, qu'un animal singulier vint me tenir compagnie. Je ne me rendis pas compte tout de suite de sa présence. Depuis mon arrivée à Paris les puces m'étaient devenues familières car ces petites bêtes m'adoraient Elles m'aimaient tant qu'il m'eût été possible d'en faire l'élevage ou le commerce. Si, boulevard de Courcelles j'avais fait l'aimable connaissance du morpion squattant mon pubis, il ne m'était encore jamais arrivé de me sentir parasité de l'intérieur.
Or, un jour de printemps, après quelques indices précurseurs, je sentis un agréable chatouillement entre mes fesses et, m'étant déshabillé, je retrouvai dans mon slip quelques morceaux de tagliatelle animés d'ultimes convulsions. Étonné par cette découverte, mais pas trop inquiet car depuis les cours de science naturelle du  Collège de Genève je croyais tout savoir sur le ténia, j'estimais que j'allais pouvoir me débarrasser assez rapidement de ce compagnon insolite.
Je dois dire que sensation de ce léger gigotement entre les fesses survenant à l'improviste à des moments inattendus, parfois délicats, était plutôt surprenante. Cela pouvait me prendre assis à ma table de travail, dans le train, au restaurant, en bonne fortune à besogner une jolie fille de rencontre, la nuit au cours de mon sommeil. Chaque fois que mon ténia familier se rappelait à mon bon souvenir, il me laissait un petit cadeau-souvenir personnel de son passage sous la forme d’un anneau vivant de chair blanchâtre.
Je gardai bêtement le secret de cette présence pour moi, n'osant pas même en parler à un pharmacien. N'ayant pas alors d'ami toubib proche et n'en ayant jamais consulté depuis ma plus tendre enfance, je vécus quelque temps avec la bête, toutes les tentatives de m'en débarrasser ayant échoué. Ni l'absorption de vin ou d'alcool fort, ni même de fortes rasades de vinaigre n'eurent raison de mon ver solitaire dont je voyais prospérer les tentacules chaque fois que je posais culotte.
De ce temps-là je gardai l'habitude d'examiner mes selles avec circonspection, étudiant attentivement leur consistance et leur couleur, craignant une nouvelle visite de mon parasite chaque fois qu'un élément blanchâtre s'y trouvait emprisonné.
Mon ténia me quitta de lui-même au bout quelques mois, sans crier gare, un jour d'hiver que libérais mes entrailles dans les confortables toilettes de La Coupole à Montparnasse.
Examinant dans la cuvette le produit de ma ponte, selon l'habitude que j’avais prise, j'y vis avec surprise remuer parmi mes déjections solides une sorte de noeud de nouilles blanches qu'un oeil moins avisé que le mien eût pu prendre pour des tentacules de seiche.
Je tirai la chasse et mon aimable compagnon disparut pour toujours.

1963- Piaf - Kennedy
Un jour de septembre 63, un pneumatique émanant de Daniel Lebeau me prévint qu'un taxi allait m'apporter une brassée de documentation dont il me priait de tirer dans les 24 heures une biographie vivante d'Edith Piaf qui venait de mourir.
Et me voilà, carburant au "gros plant", tapant au fil du clavier de mon Underwood les cent feuillets décrivant la vie poétique et romantique de la grande chanteuse.
"Tu mettras un peu de cul là où il faut" avait suggéré l'ordre de mission de Lebeau.
Il m'était déjà arrivé bien des fois de travailler dans l'urgence, car les éditeurs de 17e ordre et les gazettes populaires surfaient allègrement sur les nécrologies des personnalités.
Et voilà que le 3 octobre, trois jours après la mort d'Edith, mon ouvrage bâclé paraissait à la devanture de tous les marchands de journaux de France, précédant et prenant de court les dizaines de publications éditées par les éditeurs sérieux!
Ce n'était évidemment, sous sa couverture vulgaire et alléchante qu'un attrape-gogo, mais il s'en vendit plus de dix mille à ce que m'avoua Daniel qui m'alloua mille francs! Un véritable pactole!
Quelques semaines plus tard, rebelote, le 22 novembre ce fut au tour du Président John Fitzgerald Kennedy de succomber sous les balles d'un tueur, le jour de mon 32e anniversaire.
Une nuit un jour, la bio "haletante" fut pondue, composée durant la nuit, parut le 25 novembre, le jour de son enterrement...
Ne possédant plus d'exemplaires de ces "pensums" je ne ne sais plus très bien sous quel titre et sous quel nom d'emprunt ils parurent.
Toujours est-il qu'après des tristes exploits le bon Daniel me sollicita à chaque nouveau décès de célébrité, proposition que je déclinais à chaque fois, préférant pondre mes "polars", mes truculents "espionnages" et mes romans de cul.

1964 - Les Presses Noires Cécille et Léopold
Guy Cécille et son ami Pierre Leopold se connurent dans l'armée, entre 1959 et 1960, lors de la guerre d'Algérie. Démobilisés, ils se retrouvèrent à Paris, demeurant dans le quinzième arrondissement non loin l'un de l'autre. En effet, les parents de Pierre y tenaient une librairie-papeterie-presse tandis que Guy Cécille était le propriétaire de deux «tournées» de Billets de Loterie, l'une des Ailes Brisées, l'autre des Gueules cassées.
Cette chasse gardée, offrait une niche très juteuse permettant à son détenteur de gagner beaucoup d'argent sans trop se fatiguer.
De plus, les deux copains de régiment avaient chacun de son côté épousé deux héritières de familles bien nanties dont les parents dotèrent confortablement leurs progéniture.
Le père de l'épouse de Pierre Léopold était un officier supérieur demeurant à Versailles dans une belle propriété, l'épouse de Guy Cécille était la fille d'un riche bistrot-tabac auvergnat de Montreuil, possédant quelques biens au soleil et un château en Aveyron.
Pierre Léopold, grand lecteur de polars, s'était pris de passion pour le roman d'espionnage et plus particulièrement pour Hubert Bonnisseur de la Bath, le héros de Jean Bruce.
Le roman populaire d'action connaissait au début des années soixante un succès exponentiel et Pierre proposa à son ami Cécille de surfer sur la vague.
Ce fut ainsi que comme beaucoup d'autres jeunes gens aventureux de l'époque, Pierre Léopold et Guy Cécille fondèrent leur maison d'édition «Les Presses Noires» en écho aux «Fleuve Noir» et aux «Presses de la Cité» qui connaissaient alors un grand succès.
Mais les éditeurs Nielsen et Armand de Caro qui se livraient une bataille acharnée sur le terrain avaient quelques longueurs d'avance et ne virent pas d’un très bon oeil ces deux jeunes loups venir braconner sur leurs terres.
Je fis partie de l'écurie d'auteurs que recrutèrent nos deux éditeurs en herbe.
Ce fut Maurice Poulain qui me refila le tuyau et me fit rencontrer Pierre, place Étienne Pernet, à la librairie-papeterie-presse de ses parents.
Comme j'avais déjà pondu et publié quelques ouvrages du genre au Grand Damier et à l'Arabesque, je fus tout de suite embauché et fis cliqueter mon Underwood jusqu'à la porter au rouge



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