vendredi 23 décembre 2016

29) DIABÈTE - A L'HOSTO ST. JOSEPH DE PARIS


L’hosto pour diabète de Juillet à Octobre 2004 



Vendredi 23 juillet 2004 – St Honoré. – Charlotte est partie en vacances hier matin. A mon réveil, grande fatigue. Toilette sommaire avant de me recoucher, sans déjeuner. Deux orteils de mon pied gauche sont rouge violacé et douloureux. Je me rendors.
Vers onze heures je prends un bain. Je peine à sortir de la baignoire. Grande fatigue. Je me recouche. Dors toute la journée sans manger.

Samedi 24 juillet – Gros orteil violacé en plus des deux petits. Je reste à jeun, hébété, somnolent, abruti. Sans forces. Allongé, je somnole toute la journée.

Dimanche 25 juillet. – Pied gauche entièrement violacé, gonflé, douloureux.
J'essaie de me lever. J'ai mal. Je vais aux toilettes et reviens m'allonger sur le lit. Je somnole toute la journée. Je lui dis seulement que je ne suis pas très bien mais qu'elle ne s'inquiète pas. Je voudrais qu'elle poursuive ses vacances. Elle en a besoin. Pour moi, ce n'est pas grave si je reste un ou deux jours sans travailler. Je ne me rends pas compte de ce que j'ai, pourquoi mon pied est si rouge, pourquoi il me fait si mal. Je pense que ma constitution est saine et qu'avec du repos tout rentrera dans l'ordre.
En fait, il y a environ deux semaines, début juillet, j'ai consulté le Dr Baruch comme je suis accoutumé à le faire tous les trimestres,
La veille, je suis allé au laboratoire du Verseau faire une prise de sang pour analyses. Depuis quelques années je souffre d'un excès de cholestérol, de tension, de sucre qu'une prise quotidienne de médicaments (tahor, zertorétic, sectral, glucophage) maintient sous contrôle.
Lors de la consultation, mon médecin me prévient que mon taux de glycémie a fortement augmenté et qu'il va falloir remédier à cela.
Je dois dire que la semaine d'avant je suis resté trois jours sans prendre mes médicaments, mon ordonnance trimestrielle étant échue.
Négligent, je ne vais pas chercher le médicament complémentaire, et la semaine suivante je pars en Bretagne, oubliant tous mes médicaments.
Je passe 3 jours agréables à marcher, bambocher, boire un peu plus que de coutume. Je me sens plutôt bien et me dis que 3 jours sans « poisons chimiques » mais compensés par une activité saine et inhabituelle ne peuvent me faire de mal.
Rentré à Paris, je retombe dans mes mauvaises habitudes de travail continu, presque sans sortir de chez moi, travail entrecoupé de siestes et de bouffes un peu trop abondantes accompagnées d'au moins un litre de vin par jour.

Lundi 26 juillet. – Mon pied n'est pas beau à voir et me fait souffrir.
Charlotte arrive vers huit heures et demi du matin ayant senti que quelque chose clochait. Charlotte a des antennes très sensibles.
Dès qu'elle a vu mon état et celui de mon pied gauche (le pied droit commence lui aussi à enfler) elle appelle le Dr Baruch, mais il est en vacances. Quant à son remplaçant, je ne l'aime pas.
Charlotte téléphone au laboratoire du Verseau et demande l'adresse d’un spécialiste vasculaire et prend rendez-vous immédiatement.
Le Dr Jean de Panisse-Passis me fait un examen Doppler des deux jambes et ne trouve rien d'anormal pouvant avoir provoqué l'état de mon pied.
Un ami consulté (Etienne) conseille à mon épouse de me faire admettre aux urgences de l'Hôpital St Joseph où il vient de subir une intervention vasculaire dans, de bonnes conditions.
Comme je peine à me déplacer dans l'atelier, Charlotte emprunte une canne, ayant appartenu à Maurice Verdier.

Mardi 27 juillet 2004. – Ayant passé une nuit très agitée, mon épouse appelle SOS médecin. Un jeune praticien m'examine et fait une ordonnance pour une admission aux urgences. En cette période de vacances, c'est le seul moyen de me faire admettre sans délai.
Une ambulance vient me prendre à domicile. Un véritable tape-cul. Trajet d’une heure de la place des Ternes à St Joseph dans le quatorzième. J'essaie de plaisanter avec les ambulanciers.
A St Joseph, aux admissions en urgence, il y a la queue. Pendant que Charlotte va remplir les formalités, me voilà installé sur un étroit et inconfortable brancard à roulettes. Alignés côte à côte, nous sommes une vingtaine de patients allongés sur nos méchants lits à roulettes pouvant à peine bouger, incapables de nous retourner.
Comme la veille et les deux jours précédents, je suis ensuqué, somnolent, souffrant d'un mal diffus, supportable, mais rendu pénible par l'inconfort.
Heureusement que je peux dormir, d'un sommeil lourd, hébété.

Nuit du mardi 27 au mercredi 28 juillet 2004. – Le temps passe très lentement.
Je suis dans les vaps. Je ne me souviens plus du tout du premier examen. Ni où, ni quand, ni par qui je l'ai subi. Je regarde, j'écoute ce qui se passe autour de moi. Je ne me souviens pas quand Charlotte est repartie. Quelques faits plus ou moins précis émergent : le besoin lancinant d'uriner par exemple.
Je parle avec des inconnus. Une jeune soignante a pitié de moi. Elle emmène mon chariot dans un local proche : la Pharmacie.
– Vous serez mieux ici, me dit-elle. En effet la pièce est fraîche, une fenêtre ouvre sur des arbres et quelques fleurs. Autour de moi, des armoires et des casiers contenant toute sorte de boîtes de pansements ou de médicaments, d’objets utilitaires, seringues, dextro-cutters, des piles de compresses, de bandes. De temps à autre, des infirmières ou des infirmiers viennent s'y ravitailler.
Le local est proche de la cantine ou d'une salle de repos du personnel soignant d'où me parviennent de temps à autre des bribes de conversation, des rires ou des éclats de voix. L'infirmière qui m'a placé dans ce havre de paix s'enquiert à intervalle régulier si j'ai besoin de quelque chose.
A un moment donné, elle me ramène dans la salle d'attente pour que le médecin de garde ne m'oublie pas lors de son passage.
Me voilà à nouveau sous une lumière lugubre bord à bord avec d’autres patients en attente d'examen, certains en grande souffrance, geignant, râlant, plaintifs. De temps à autre un cri, une toux désespérée.
Là, dans ce vaste couloir où vont et viennent soignants, infirmiers, visiteurs, inconnus, je remarque depuis plusieurs heures un noble vieillard au visage pathétique, à moustache blanche, au maintien un peu voûté mais impeccable dans son costume – cravate -rosette de la légion d'honneur à la boutonnière. Il va, il vient, reva, revient, le regard dans le vague, errant comme une âme en peine parmi ces gens blessés, malades, plutôt communs. Son beau visage me fait pense à celui de Philippe Pétain, le maréchal auquel il ressemble comme deux gouttes d'eau.
Autour de nous, le brouhaha de l'usine à urgence qui fonctionne à tout va !
Vers minuit, à deux lits brancards de moi, on amène l'épouse de « Pétain » qui vient d'être examinée et porte un gros pansement à la jambe.
C'est une femme style « Mary Maykut ». Une glorieuse, volubile, parlant fort, portant beau. Elle raconte sa consultation d'une voix telle que toute la salle et au-delà entend ce qu'elle dit. Son mari s'est assis sur un brancard vide, ainsi que la jeune femme, amie ou dame de compagnie qui les accompagne. Silencieux, réservé, le regard fixé sur elle, le mari paraît rassuré. La personne un peu forte reste muette.
La glorieuse nous fait part de sa joie de se retrouver ici, à St Joseph, où, dans son enfance, elle a fréquenté l'école des soeurs, où elle a suivi le catéchisme, passé sa communion et effectué ses premières études. Elle nous fait part de son enfance heureuse, choyée, puis, aujourd'hui de son admiration pour l'excellente tenue de cet hôpital, de la gentillesse et de l'efficacité du médecin qui l'a reçue.
Il ne lui manque à présent que l'autorisation de sortie, qui ne saurait tarder. Elle parle, elle parle. Ses deux compagnons muets s'ennuient. Et le flot de sa conversation finit par se ralentir avant de tarir. Un instant de silence vite envahi par le brouhaha ambiant tente de s'établir.
J'ignorerai toujours la raison de sa présence ici, aux urgences.
A un moment donné, un brouhaha s'élève, des voix avinées mêlées de cris, arrivent jusqu'à nous en provenance de l'entrée. Bruit de bousculade.
– Je suis l'évêque de… vocifère une voix forte. Je veux être reçu immédiatement avec ma compagne…
Des brancardiers musclés accourent, encadrent l'individu, tandis qu’un quidam – tel le récitant d'une tragédie antique – raconte ce qui se passe.
Un grand type, en tenue de clergyman, accompagné d'une fille vulgaire, un peu trop voyante, au comportement hystérique, exige d'être hospitalisé … Comédie ou propos d'ivrogne ? Se sentant écouté, l'ecclésiastique vocifère, tandis que la fille accrochée à son bras ajoute quelques insultes à ses glapissements.
La scène dure peu, les brancardiers emmènent le couple perturbateur vers la sortie, avec douceur mais fermeté.
La « reine-mère » reprend son monologue, interrompu par l'évêque, devant son époux et leur « dame de compagnie ».
Sommes-nous la nuit, le matin déjà, ou la journée. Le temps passe si vite et je suis abruti de fatigue. Une personne sympathie, l'air timide et emprunté, arpente le couloir où nous sommes allongés avachis sur nos lits-brancards.
Au revers de sa blouse, elle porte un badge annonçant quelque chose comme « informatrice bénévole ». Elle passe et repasse, souriante, cherchant visiblement à établir le contact avec l'un d'entre nous. Mais elle semble aussi perdue que nous dans cette cour des miracles, n'ayant pas encore l'habitude de ce milieu de galère et de souffrance.
A ma gauche, une dame très âgée, fluette, discrète souffre sans une plainte.
Un grand et beau garçon, la quarantaine sportive et énergique, vient la voir de temps à autre, prend ses mains décharnées entre les siennes, s'enquiert discrètement de ses besoins, puis, la voyant somnoler, s'éloigne, inquiet…
A ma droite, un méridional râblé, le torse nu, velu, l'épaule pansée el le bras en écharpe, qu'accompagne une fille vulgaire, mais très amoureuse de lui, lui témoigne de ses sentiments en l'embrassant avec ferveur, le mignottant, lui bichonnant le sexe à travers le pantalon, sans pudeur. Il attend son autorisation de sortie.
Nos regards se croisent de temps à autre, sympathisent silencieusement. De connivence.
Soudain, une dispute s'élève toute proche entre trois garnements blessés, dont l'un est allongé sur un brancard et dont la main saigne. Ce sont de jeunes maghrébins à l'accent voyou, qui s'engueulent à propos de la gravité de leurs blessures due à une bagarre à coups de couteaux et réclament des soins immédiats.
Les deux jeunes restés debout tentent de battre le blessé allongé et l’auraient volontiers achevé si des brancardiers n'étaient intervenu pour les séparer.
L'un d'eux vocifère qu'il est blessé jusqu'à l'os, qu'il a beaucoup saigné, qu’il veut voir un chirurgien.
Les 2 autres qui ont de gros pansements, l'un à l'épaule, l'autre à la jambe, se sont assis sur son lit et le frappent pour le faire taire.
Mais leurs explications véhémentes ne sont pas claires et je ne connaîtrai pas les raisons exactes de leur différent. Ils parlent haut. Ils parlent fort. Moitié arabe, moitié arabe.
Sur le brancard d'à côté un vieux, décharné, le visage pathétique, râle. Il a mal, il respire mal, il va passer…
La gentille infirmière me retire de là et emmène mon brancard roulant à la pharmacie où je suis à l'abri du bruit de la lumière crue et des miasmes. Me tend l'urinal et me donne à boire.
Je m'endors pour un instant ou quelques heures…

Mercredi 28 juillet 2004 - Matin – Je suis dans les vaps. Passage d'une femme médecin que je trouve l'air bizarre, méchant. Elle me file les jetons. Vision réelle ou cauchemar, je ne sais pas.
Charlotte apparaît comme dans un rêve. Belle, souriante, élégante. Moi je n’en peux plus.
Charlotte appelle Bassam pour qu'il fasse quelque chose. Il appelle l'hôpital St Joseph et parvient à parler à un de ses confrères. Le Dr Fouad Fayed. Il parvient à me faire admettre dans une chambre du servie de chirurgie orthopédique.
L'impression est fantastique. Après la géhenne du couloir des urgences, me voici propulsé au paradis. Un brancardier m'emmène dans une chambre ravissante, claire, bleu saint nitouche et blanche. Une merveille. Une jeune femme l'aide à me transporter tout doucement sur un lit merveilleux, où je me sens bien. Je m'endors.
Lorsque je me réveille, je me trouve allongé, nu sous une blouse bleue… Mais dans ma tête tout se brouille. Je ne sais pas si je rêve ou si je suis lucide. Ce qui est certain, c'est que dans cette chambre, j'allais encore aux toilettes seul, je n'étais pas perfusé… et je voyais mon pied gauche violacé avec un méchant bubon poussant au pied du gros orteil.
Que se passa-t-il dans cette chambre ? Je n'ai souvenance que du passage régulier d'un infirmier. Dans le brouillard, mon état comateux, la vision aussi d’une sorte de gros champignon au plafond, se transformant tantôt en oeil ou en bouche, portant une inscription ou un sigle, pour moi illisible.
A un moment donné, après le passage de la méchante médicastre, un infirmier m'annonça que j'allais être transféré. Dans le brouillard, un mot surnage « Montsouris ».
J'étais dans les vaps. Tout cela reste confus.
Des brancardiers arrivent. Ils m'arrachent de mon lit confortable sur un affreux brancard du même modèle que celui où j'ai séjourné plus de 24 heures.
– Mais je peux marcher ! dis-je ;
– Non, restez allongé.
En fait, ils m'installent rapidement et me propulsent dans les couloirs, vers la sortie où séjourne leur ambulance.
Mais ils n'ont pas de « bon de sortie ». Nous attendons durant plus de 20 minutes. Il fait chaud. Mon pied me lance. Après quelques palabres sur leur portable,
ils décident de se passer du bon de sortie et nous voilà roulant à travers Paris. Il fait beau et chaud.
Après une demi-heure, l'ambulance plus confortable que le tape-cul qui m’a amené à St Joseph, s'engouffre dans un bâtiment et je suis véhiculé sur mon lit brancard de service en service, d'étage en étage avant de trouver la chambre où je devrais être attendu.
Je m'inquiète de savoir si Charlotte a été prévenue de ce changement d'hôpital, car c'est à peu près l'heure de sa visite.
D'après ce que je crois comprendre mon arrivée aurait bien été signalée à l'accueil de l'hôpital Montsouris, mais que je n'étais attendu dans aucun des services spécialisés censés m'accueillir. Trimballé d'étage en étage, de service en service par des brancardiers de plus en plus nerveux, j'attends patiemment dans de vastes halls vides, voyant ici et là déambuler des infirmières, des médecins nonchalants, des visiteurs, des désoeuvrés qui ne s'intéressent pas le moins du monde au lamentable quidam abandonné sur son chariot par ses brancardiers furibards.
Seule consolation, à un moment donné de mon périple, je vois comme dans rêve, se déployer un panorama superbe sur l'ouest de Paris à travers une vaste baie vitrée inondée de soleil.
Je vois au loin la Tour Eiffel dans un halo lumineux, dressée sur une mer de toits argentés, avec des éclairs lumineux de diamants et de rubis, dans la symphonie d'émeraude des arbres.
De plus en plus surpris, inquiet pour Charlotte, je vois un brancardier revenir auprès de moi et m'expliquer :
– Quel bordel ! Le service de chirurgie qui devait vous accueillir ferme ce soir !

On retourne à St Joseph !
– Trajet de retour plus rapide qu'à l'aller. Plaisanteries des ambulanciers sur l'incurie des papelardiers, nouvelle attente au service d'admission, je finis par retrouver ma chambre avec soulagement.
– Charlotte arrive après avoir été elle aussi baladée sur le chemin de Montsouris mais redirigée juste à temps!
A l'instant où un infirmier m'aide à regagner mon lit clopin-clopant, le bubon bourgeonnant à la naissance du gros orteil de mon pied violacé éclate, répandant sur le sol une traînée de sang et de pus.
L'infirmier passe un temps infini à nettoyer avec délicatesse la plaie ouverte.
Curieusement, je n'ai pas mal, je ne sens rien. Ai-je été mis sous analgésique ?
Après quoi, je ne me souviens plus de rien.
Ai-je été conduit au bloc ? M'a-t-on opéré le pied cette nuit-là ? Ai-je sauté un jour ? Tout reste confus. Je ne sais plus quel jour nous sommes. Pourtant je me rappelle que Charlotte m'a raconté son expédition à Montsouris avec Anne.
Une vision aussi, celle de Babeth et de Bassam. Une Babeth rayonnante. Bassam s'entretenant avec le Dr Fouad Fayed.

Une nuit agitée
Je ne saurais dire si cette nuit se place avant ou après mon passage au bloc opératoire. Je me souviens de peu de choses. Seul surnage le souvenir confus d’un harcèlement d'images géométriques, de fantasmes, de séquences entre rêves et cauchemars, d'obsessions.
Le seul souvenir précis qui subsiste, une chambre claire, ensoleillée, aux murs tapissés de laine de verre peinte en bleu clair, plafond blanc, mobilier bleu. La nuit, une infirmière ou une aide soignante grande, forte, sympathique, assistée d'un jeune homme aux cheveux noirs, bouclés, sympathique.
Ils doivent se tenir à proximité de ma chambre, à portée de voix, car dans mon demi sommeil, je les entends parler sans comprendre ce qu'ils disent. Je les prends pour une mère et son fils.
Dans ma léthargie, je crois me trouver dans le midi, en Provence, dans la région de Carpentras. Je loge dans un hôtel de luxe, avec vue sur un beau parc, avec piscine, palmiers, oliviers de massifs de fleurs.
Je ne sais pas très bien ce qui se passe dans ma tête ou autour de moi. Deux grilles d'aération proches du plafond semblent des mâchoires grimaçantes de requins, je vous passer des ombres inquiétantes à travers le vasistas vitré de la porte donnant sur le couloir. J'ai l'impression que du dehors tout le monde me regarde comme une bête curieuse. Ce hublot indiscret m'obsède. Je me demande pourquoi cette indiscrétion dans cet hôtel de luxe.
Au cours d'une autre séquence de ce film, je me vois en train d'arracher les tubes qui me relient à une potence. J'y parviens partiellement avant qu'une sonnerie stridente se déclenche et que surgissent la « mamma » et son fils qui me disent :
– Voyons, ne faites pas ça !
Mais je persévère. Je ne comprends pas que ces tubes m'instillent des antibiotiques, des calmants par le cathéter ouvert à la base de mon épaule. Je répète la manoeuvre à plusieurs reprises, furieux de me sentir ligoté.
Entre rêve et réalité, je me souviens que je demande à Charlotte:
– Où suis-je ?
– A l'hôpital !
– Mais pas du tout ! Je suis à l'hôtel ! Regarde ce paysage, ce soleil, ces vignes, et là-bas, au loin, la mer… Nous sommes dans le midi.
– Mais non voyons, tu dérailles, nous sommes à Paris, à l'hôpital St Joseph.
– Mais tu ne vas pas payer ça si cher ?
– Faudra vérifier…
– C'est tout vu !
Autant de bribes de conversation décousue qui me reviennent. Et je ne suis même pas sûr que ce ne soit pas un lambeau de rêve… A travers mes souvenirs brumeux se détache la vision idyllique de paysages fabuleux, à l'italienne, de terrasses, de jets d'eau, de vignes, de cyprès, avec toujours la mer comme toile de fond.
Je me vois aussi crapahuter dans les « Demoiselles de Montmirail ». Non, je ne suis pas à l'hôpital,, je suis en vacances dans un bel hôtel.
Mais d'autres images prennent la relève, géométriques, obsédantes, la réalité qui vient se superposer à mes rêves.
– je ne me souviens plus vraiment ni quel jour, ni dans quelles conditions j’ai été opéré. Je me trouve dans une belle chambre claire, avec une large baie vitrée ouvrant sur un décor de théâtre. La chapelle St Joseph occupe toute l'horizon, avec un coin de ciel bleu où passent des pigeons.
Lorsque je tente de rassembler mes souvenirs, je me vois trimballé sur mon lit à travers des couloirs, à grande vitesse, par un brancardier noir pressé, cognant les portes, jusque dans un couloir d'attente où, deux aide-soignants me basculent sur un lit plus étroit.
Je ne sens pas mes pieds rongés par l'infection, emballés dans de gros pansements. Je n'ai pas mal.

Bloc opératoire
Je l'ai dit, je n'ai aucun souvenir précis de ma première opération, de mon premier passage au bloc. Quelques images surnagent, l'entrée cahotante de mon chariot étroit dans une salle froide aux Scialytiques éblouissants. Allées et venues d'hommes et de femmes en blouse blanche, en blouses bleues aux visages grimaçants sous leurs masques, affairés, parfois penchés au-dessus de moi, demandant :
– Ça va ?
Je balbutie une réponse…
Les journées qui ont suivi mon arrivée restent confuses. Même les visites de Charlotte.
Ce qui reste précis, ce sont nos conversations un peu brusques. Je suis impatient, hargneux. Pourtant Charlotte m'aide à faire ma toilette, à laver mes dents, elle me rase, me peigne…
Me revient aussi la présence presque obsédante d'un visage, d'une femme que j'appellerai le sosie de Denise Vidal. Un visage grimaçant, hargneux, « ennemi » devenant au fil des jours, souriant, amène, sympathique. Souvenir précis aussi, émergeant du brouillard de l'inconscience, du Dr Fouad Fayed et surtout de la chirurgienne, Anne Vidil, visage lumineux, rond, souriant, sympathique. Une belle fille énergique et rassurante. Je comprends mieux ce qui a pu arriver à Clo. 

Vendredi
Au cours de cette semaine, j'ai le vague souvenir d'être passé 3 fois au bloc pour une opération sous anesthésie complète. Les 3 premiers renouvellements de pansement se sont également faits sous anesthésie.
Je me souviens aussi de la surprise de découvrir un jour, mon pied « déballé » par l'infirmière et les soins attentifs dont il fut l'objet. Moi-même et l'infirmière sous un masque. Pas un geste de l'infirmière qui ne soit infiniment doux, infiniment précis, exécuté sous gants stériles, avec des compresses stériles pliées en quatre selon un mouvement d'une virtuosité étonnante, à l'aide d'une pince stérile. Idem pour le renouvellement du pansement du cathéter.
Le service de chirurgie orthopédique où je me trouve est souriant, sympathique, efficace, empressé. La première infirmière dont j'ai retenu le nom est Anaïs Evin.
Ma chambre donne sur la chapelle St Joseph, un bâtiment un peu mastoc, pas très élégant, du 19e siècle, mais dont le temps et les intempéries a adouci les angles, rongé les pierres, patiné les angles trop vifs.

Je repasse au bloc opératoire
A jeun, nu dans ma chemise bleue en plastique, dépossédé de mes appareils dentaires, le corps badigeonné de XXX, pauvre grosse chose inerte et à demi inconsciente à la merci des autres, je suis prêt pour le bloc.
Un noir solide, baraqué promène mon lit à toute vitesse vers le bloc. Il heurte parfois les portes, les parois, mais il passe. Je crains que mon pied blessé ne cogne contre le montant des portes. Nous croisons quelques silhouettes apparues devant nous qui s'écartent à gauche, à droite, furtives, éphémères, comme des ombres chinoises.
Le brancardier engouffre mon lit dans l'ascenseur, en ressort, toujours en force, en puissance, me ballottant, me trimballant, me propulsant inerte, impuissant… Puis il m'abandonne, dans un couloir, allongé à côté d'un lit brancard plus étroit, sur lequel, avec un collègue, il me transfère toujours en force, sans me faire mal, mais sans trop de ménagements. Je me sens objet, légume.
Puis l'on me voiture dans une salle froide, sous une lumière froide, l'on avance cahotiquement mon brancard-lit sur une sorte d'aiguillage, où il est fixé à grand bruit et force secousses. On me sangle les bras à l'écart de mon corps sur des appuis froids.
Est-ce lors de mon premier passage au bloc, ou plus tard, je me souviens de plusieurs visages masqués penchés sur moi. Sous leurs coiffes de plastic et leurs masques, ces êtres m'apparaissent grotesques, vieux, laids effrayants, avec des yeux étranges. Je ne sais pourquoi il me semble que j'ai affaire à une équipe d'anciens chirurgiens et de leurs assistants, rappelés au service depuis leur retraite pour s'occuper de moi, parce que nous sommes en été, durant les vacances, et que l'équipe chirurgicale habituelle est en congé!
Une voix me demande, à tout bout de champ :
– Ça va ? Je balbutie :
– Oui, ça va ! Je me souviens avoir vu mon lit immobilisé sous de grands lampes, après des claquements secs, au milieu d'une salle qu'il m'est difficile de décrire, car je ne la vois plus que derrière un rideau de brume. Quelques secousses encore infligées à mon brancard, la tête scotchée sur un bloc mou, les bras écartés de mon corps, puis plus rien… je sombre dans la ouate, la nuit, le silence…
Quelque temps après, ne ne saurais dire combien car je n'ai pas regardé l'heure, j'émerge, toujours allongé, dans une salle où s'affairent des gens en blouse, médecins, infirmiers, soignants ? En me relevant péniblement en appui sur mes coudes, j'ai vue sur toute la salle où stationnent d'autres corps allongés, sur d’autres brancards. La salle de réveil probablement. Mais, non loin de nous, une dizaine de personnes s'affairent autour de tableaux, d'ordinateurs, d'instruments. Une grosse pendule m'indique l'heure : 14 h 30. Toutes les 5 minutes une infirmière vient me demander : « ça va ? »
– Ça va ! Mais j'ai froid, et je souhaite un « pistolet ».
Aussitôt elle m'apporte un urinal et me recouvre d'une couverture chauffante.
Les personnes qui viennent me voir et s'affairent autour de moi sont souriantes, normales, plus de visages grimaçants, torturés. Je n'ai pas mal. A aucun moment je n'ai eu mal. Jamais jusqu'ici (30 août), je n'ai eu vraiment mal. Avant que cela ne se déclenche éventuellement, les infirmières me donnent un comprimé analgésique. Je ne l'ai utilisé préventivement que 5 ou 6 fois, lorsque je sentais monter dans mon pied une douleur diffuse.

Les soins
Depuis mon arrivée dans ce service de chirurgie orthopédique, j'ai bénéficié de soins absolument parfaits. Les infirmières qui se sont relayées, Mlle ou Mme L’Hours et Mlle ou Madame Evin ont été d'une patience, d'une douceur remarquables.
Toujours souriantes, vives, rapides, compétentes bien que leur travail fût harassant.
Une patience rare, une élégance dans leurs gestes méticuleux malgré mes bavardages. Ne se laissant jamais distraire par mon humour « suisse » parfois un peu lourd.
Il y en eut d'autres, infirmières de nuit, soignantes ou aide-soignantes ou pousse-balais aussi dévouées. Rarement je suis tombé sur des vaches. Il y en eut une, particulièrement gratinée, grosse, vilaine, revêche, aide-soignante je crois, voix rogomme, style garde-chiourme… Malgré ma compréhension, mon ton apaisé, elle voulut m'en imposer. Une méchante… dont, pour me débarrasser je refusai les services offerts à contre-coeur et brusquerie…
Le problème majeur, durant les 15 premiers jours, jusque vers le 10 août, fut le problème « popo ». Je suis resté plusieurs jours à serrer les fesses, à me contenir le cul, car à chaque fois que j'urinais, je me mettais à pisser du cul comme s'il y avait confusion dans les sphincters ! Le moindre pet pouvait se révéler foireux. Redoutant l'accident inévitable – je ne pus l'éviter – je serrai les fesses 6 jours durant, incapable de me relâcher sur le bassin.
Il est vrai que je mangeais très peu, ne buvais rien à part mon café du matin.
Urine abondante, par contre, couleur rouge orangée, avec deux urinals en service, pissant toutes les demi heures.
Durant ces quelques journées difficiles, ce fut Cioran « De l'inconvénient d’être né » et mon anthologie de poésie personnelle qui me permirent de passer le temps sans ennui.
L'intubation dans ma trachée lors des interventions avait perverti le timbre de ma voix, devenue voix de fausset.
Une nuit, avec ces urinals instables, ce fut l'accident. Remplissant pour la troisième fois le pistolet, à demi endormi, un mouvement de contraction pour éviter l'éruption anale, fit basculer l'urinal qui se vida dans mon lit. Je baignais littéralement dans la pisse. La honte. L'inconfort.
A côté, dans le service, c'était la fête. Des Antillais chantaient joyeusement, ils n'entendent pas l'appel de ma sonnette.
Quand deux soignants de nuit arrivent pour constater les dégâts. Ils ne disent rien. Ils m'enjoignent de me mettre sur le côté, d'agripper la barrière métallique de mon lit, me bouchonnent les fesses, me tamponnent les bijoux de famille, me lavent.
Crispé, à bout de forces, je vais lâcher prise sans prévenir lorsque séché par une serviette douce et tiède ils me disent que je peux m'étendre sur un drap propre.


Soulagement.
– Appelez-nous chaque fois que vous aurez uriné. N'attendez pas que le pistolet soit plein.
– Comme j'ai besoin de pisser toutes les demi heures, ils placent deux urinals de part et d'autre de mon lit.

Environ 6-10 août. – Nuits agitées. Rêves cauchemardesques. Bassin. Pipi.
Réveils nombreux. Une aide-soignante de nuit m'enduit régulièrement les fesses d'un produit adoucissant pour éviter les escarres. Puis elle me masse le dos avec du synthol. C'est bon. Mais elle est la seule à le faire.
Nouveau passage au bloc pour renouvellement du pansement sous anesthésie. Je me sens moins dans les vaps. Les rêves obsessionnels qui accompagnent généralement mon sommeil s'estompent au profit du repos silencieux.
Quelques visites me font même plaisir. Bassam et Babeth, Etienne et Anne.
Charlotte bien sûr. Mais celles de Frédéric et de Nadia me paraissent longues et leur conversation sans intérêt. Seule la lecture me passionne, et je ne m'en prive pas. Ma chambre est agréable et je ne me lasse pas du décor de théâtre qui se profile derrière la baie vitrée : la chapelle St Joseph. Je relis une fois encore Cioran : « De l'inconvénient d'être né ». Ses aphorismes d'un humour grinçant m'enchantent dans la position où je me trouve.
Tout à fait tonique dans ma situation…

30 juillet – 6 août – Le Dr Anne Vidil et le Dr Fouad Fayed me rendent visite chaque jour. L'intubation nécessité par les interventions chirurgicales m'a cassé la voix. La chirurgienne ne se prononce pas encore sur l'avenir de mes pieds. Elle reste prudente. Elle me laisse entendre que mon pied droit est hors de cause, les deux points de nécrose de mes orteils ne nécessitant probablement pas d'intervention chirurgicale. Quant au pied gauche, son diagnostic reste très réservé.

Cette nuit (7 au 8 août) – je rêve que j'enterre mes deux pieds derrière notre maison de Bourron, à côté de la tombe de Chiffon, sous la frondaison d'un rosier blanc. Rêve très réaliste. Rien d'un cauchemar. Aucune appréhension. Je rêve de petits Cambodgiens souriants réapprenant à marcher avec leurs cannes et leurs prothèses. Ils semblent tout joyeux, sautillent à l'aide de béquilles, sur leurs jambes mutilées sommairement appareillées.
Durant toute le restant de la nuit je suis hanté par leur sourire et leur courage.
Des images de vacances, de marche dans la forêt, de navigation mouvementée, de membres coupés se bousculent dans mes rêves, interfèrent, se mélangent, jusqu'au réveil.
Une image se détache, celle de Noël, de sa cheville fracturée après son accident de moto, de sa démarche un peu lourde et chaloupée, celle du Captain Achab de la Baleine blanche.

Jeudi 12 août. – Première visite du kiné qui me fait faire quelques pas dans la chambre, cramponné au plateau instable d'une potence mobile supportant les poches d'antibiotiques, de calmant, de sérum physiologique.
Première installation dans le fauteuil avec le pied gauche allongé sur le coussin placé sur une chaise. Position très inconfortable, reins cassés, corps en porte à faux.

Vendredi 13 août – Fauteuil. Renouvellement pansement. Promenade de 100 pas dans la chambre, avec la kiné. Déjeuner assis, le pied sur la chaise. J'avale 6 radis. Etourdissement. Malaise. Je vomis. Cuvette. Crispation.

Nuit du 14 août – Je commence à reconnaître quelques infirmières, quelques aide-soignantes de mon service bien qu'elles changent tous les deux ou trois jours.
Depuis le début de mon hospitalisation, Anaïs Evin et Christel d’Hours renouvellent mes pansements du pied et du cathéter tous les 2 ou 3 jours, en alternance. Je parviens enfin à les distinguer l'une de l'autre. Je me sens toujours le cerveau embrumé.
Pourtant, chaque jour, je lis quelques poèmes que je mémorise et m'exerce à la table de multiplication.
Difficulté des prises de sang. Une véritable comédie. Veines peu apparentes, difficiles à localiser. Les infirmières essayent un peu partout : poignet, dessus de la main, creux du coude, dessus du pied valide… Il leur faut à chaque fois un temps infini, beaucoup de doigté et de patience pour me prendre une pinte de sang ! Je n’ai pas de veines apparentes. Et celles qui se prêtent à la piqûre sont très fines.

Nuit du 14 août – Chaque soir, je m'enduis les fesses de gelée d'aloès. Cette nuit, en me tournant sur le côté et me tâtant les fesses, je sens se détacher entre mes doigts un morceau de caoutchouc.
Mes doigts pétrissent ce truc bizarre et mou, et le ramènent devant mes yeux.
C'est un morceau de peau grand comme un petit mouchoir qui, malaxé et pétri forme une boule grosse comme une mandarine ! Sensation bizarre ! Je pose l'objet sur ma table de nuit et envoie mes doigts prospecter prudemment mon autre fesse. Idem. Je rencontre un bourrelet de peau molle sur lequel je tire doucement et ramène un nouveau morceau de peau de plus d'un décimètre carré qui se laisse triturer comme de la pâte à modeler!
Mes fesses muent ! Je roule ma peau en boule, comme le premier morceau et le pose sur la table !
Surpris, vaguement inquiet, je me demande si mon derrière à vif ne saigne pas. Je retourne inspecter mes fesses de la main, les effleure, sans ressentir le moindre mal, la moindre brûlure. Je les ramène de sous les draps et les examine. Ils ne sont pas humides ni tachés de sang. Mes fesses sont lisses !
Le lendemain, lors de la visite de Charlotte, je la prie de regarder ce qui s’est passé, elle constate que si ma peau des fesses est un peu rouge, elle est neuve, parfaitement reconstituée ! Bizarre !

Dimanche 15 août – Visite Charlotte, Babeth, Bassam. Tél Jacques et Michou.
Charlotte m'apporte un superbe bouquet de lys bleus et roses réalisé par Anaïs dans du papier de couleur.
Superbe travail, couleurs émouvantes.
Comme je ne disposais pas d'un vase ou d'un verre adéquat, Bassam ramena de la salle d'eau un rouleau de papier cul vieux rose entamé dans lequel il ficha le bouquet ! Superbe !
Ce bouquet est examiné et admiré par tout le personnel soignant. Campé sur la table, en face de mon lit, encadré par la bouteille de synthol et mes savates protectrices en plastique bleues et blanches, il a fière allure.

16 août – Nuit sans popo. Sommeil correct. Sucre apparemment stabilisé. 1 gr à 1 gr 04.
Visite du Dr Anne Vidil. Pansement pied gauche renouvelé. Grande amélioration de la cicatrice à la base du gros orteil. Mais apparition d'une boule rouge/violette sur le côté droit du pied gauche entre gros orteil et talon. La chirurgienne fait un sondage et une prise de matière interne pour analyse. Le Dr Fouad Fayed prend ses vacances.
Je suis une usine à pipi. Deux fois l'heure le besoin de pisser me prend.
Intense, arrogant, immédiat. Impossible de me contenir.

Quand l'urinal est plein, pisser encore avant qu'il soit vidé est problématique.
Crainte de renverser à nouveau le vase. Et l'obligation de contracter les fesses en même temps que le sphincter pipi se relâche entraîne des mouvements dangereux du corps risquant de déséquilibrer le vase…



Cette nuit l'accident s'est produit. Mes fesses baignent dans un litre et demi d'urine retenue par la toile étanche de l'alaise qui fait poche. Je dois appeler à l'aide.
Ah ! Depuis trois semaines que je suis ici, l'amour-propre, la fierté, la pudeur en prennent un coup !
Confier ses fesses et sa nature intime aux soins et à la toilette d'autrui. Exhiber ses intimités à des inconnus et des inconnues ! Et pourtant, quelle douceur, quelle gentillesse, quel dévouement de la part de ces infirmières, de ces soignantes.
Jamais une réflexion brusque ou désagréable, un mouvement d'humeur, une exclamation d'impatience. Même lorsque notre nature s'est abandonnée et qu’on s'est conchié ! Elles remettent tout en état avec rapidité et précision, en vraies professionnelles !

Mardi 17 août – Pour la première fois je vais aux toilettes seul, emmenant ma potence et ses poches de sérum physiologique et d'antibiotiques.
Je relève sur mon carnet de bord les soins reçus, les résultats des examens de température, des prises de la tension, du taux de glycémie à l'aide de la « draculette » un petit appareil qui pique le bout des doigts et donne instantanément le taux de sucre du sang.


Visite de Frédéric et de Nadia.
Je passe 3 heures dans le fauteuil où je déjeune. Première promenade, seul, dans le couloir, poussant devant moi ma potence instable. Une malade qui va sortir bientôt me lègue sa potence stable au jour de sa sortie. Je plaisante avec elle sur notre engagement et notre entraînement pour les prochaines olympiades, dans 4 ans.
Dans un coin de ciel bleu, entre la chapelle et une autre aile de l'hôpital, je vois pour la première fois depuis que je suis ici, passer trois avions dans le ciel.
Dieudonné fait toujours la tronche. Je l'invite à me sourire, à me passer de son énergie. Mais il est noué, bloqué, buté. Et il ne comprend rien à l’arrangement pratique que je souhaite pour m'installer à l'aide dans mon fauteuil, la chaise, mon pied blessé sur un coussin, la tablette en travers avec mes livres. Je suis obligé de lui faire un dessin…
A la limite de la rogne, je parviens à le décider de suivre mon plan.


Le personnel. Le service
Infirmières, médecins et pousse-balais. Je ne sais pas si tout l'hôpital St Joseph possède une équipe de soins aussi aimable, souriante, compétente ou si je suis particulièrement bien tombé.
Le seul hiatus s'observe dans l'attitude un peu figée des infirmiers et soignants en présence de certains médecins. Autant les infirmiers, infirmières et soignants sont extraordinairement sensibles, dévoués à l'égard des patients, autant un grand nombre de médecins paraissent pressés, inattentifs, peu à l'écoute, fermés.
C'est pourquoi lorsque le malade a affaire à un médecin souriant, ouvert, attentif, expliquant bien ce dont l'on souffre et décrivant le traitement qu'il applique ou simplement ce qu'il nous fait, le courant passe. Ce fut le cas avec le Dr Anne Vidil la chirurgienne qui m'a opéré. Une jeune femme formidable. Chacune de ses visites matinales fut le rayon de soleil de la journée.
Le Dr Fouad Fayed aussi est un homme très chaleureux. Des spécialistes comme Mme le Dr Michon-Pastourel, Fabienne Roux ou Dr Desplace, la diabétologue Catherine Campinos sont des femmes énergiques, précises, certainement compétentes et expliquent bien au patient ce qu'elles font et pourquoi elles le font. Certes, il y a des petits « accrochages », des nuances dans la forme un peu abrupte des rapports entre médecins et infirmières, parfois même une sorte d'attitude un peu hautaine.
Un exemple. Lors d'un « déballage » de mon pied opéré, une doctoresse interpella plutôt vivement l'infirmière, exigeant d'une voix abrupte un scalpel, une paire de ciseaux, des gants et des pansements stériles, pour débrider elle-même les petits plaies au bout de deux orteils non opérés jusque là, au fond desquelles elle trouva de l'humeur qu'elle recueillit à fin d'analyse.
On sent une hiérarchie très nette. Entre le pousse-balai, le nettoyeur du service. Généralement un être plutôt fruste, lent, paresseux, qui s'emmerde dans son travail et le fait sentir – mais il y a d'extraordinaires exceptions ; les aides-soignantes et aides-soignants enrobés, mous, souvent l'air maladifs, et le personnel infirmier, presque toujours dynamique, souriant, motivé, efficace, malgré les difficultés de tout ordre et l'incroyable charge du travail.
Les infirmières hospitalières sont une race à part. Je ne sais pas comment elles sont choisies, comment elles décident d'adopter cette profession. En tout cas, dans l'ensemble, ce sont des personnes d'élite, de qualité.
Des jeunes femmes comme Christel ou Anaïs sont des anges. Je n’exagère pas. Patientes et diligentes, l'oeil à tout, elles réparent jusqu'aux oublis et aux petites négligences des pousse-balai.
Au bas de l'échelle, les employés sont des êtres frustrés, des battus, des mal dans leur peau. Ils sont rarement beaux. Cela va des stagiaires qui s’emmerdent, aux mécontents de leur sort, aux jaloux, qui le montrent ouvertement, jusqu’aux employées dévouées, saines, heureuses, ayant toujours un mot gentil à la bouche, qui aiment leur métier et qui aiment à répandre le bonheur autour d'elles.
Différence marquée aussi dans les races.
Parmi les noires, il y a les renfermées, les mécontentes, les incomprises. Le plus souvent grosses. Mais la plupart sont joviales, souriantes, exubérantes même, surtout si l'on fait le premier pas, si l'on est sympa.
Et puis, viennent les « princesses ». Ce sont de jolies filles qui savent qu’elles le sont, sûres d'elles, au vêtement original, au port de têtes altier, royal, couvertes de bijoux, aussi parées qu'un sapin de Noël. Elles maintiennent la distance avec le malade, lui font bien sentir et comprendre que c'est elles qui dirigent. Il ne faut pas leur manquer. Mais elles sont précises, nonchalantes et néanmoins efficaces.

Mercredi 18 août – J'hérite du gibet à plateau stable. On voit que pour le mobilier et le matériel d'hôpital, comme pour l'automobile ou le matériel informatique, les constructeurs ne tiennent pas compte des utilisateurs.
Je commence à me promener sans l'assistance de la kiné. Parmi les minuscules problèmes, pourtant importantes pour le patient, la chasse à la « chemise » de tissu. Aÿ parvient presque toujours à m'en procurer. A chaque visite de ma charmante chirurgienne, je suis encouragé par son sourire et ses encouragements.
La promenade avec ma « potence » me donne un sentiment de liberté. A mon passage dans le couloir, devant la salle opérationnelle du personnel infirmier où tous les soignants se réunissent chaque matin, je reçois leurs petits clin d'oeil amicaux, des signes de la main, des sourires…
De mon lit, je vois trois avions dans la « lucarne » de ciel bleu. Papy Dieudonné-la-tronche se dégèle et découvre enfin un peu ses dents.

19/20 août. – Douleur dans le pied. Doliprane.
Vendredi 21 août – Discussion passionnante de deux pousse-balai au sujet de l'une de leurs collègues. Elles se parlent à haute et vive-voix, comme si elles étaient seules. Tout en nettoyant activement ma chambre, l'une des deux employées, une belle fille saine et énergique, explique à sa collègue comment il faut se prendre en main si l'on veut vivre en harmonie avec soi-même et les autres. Une vraie leçon d'énergie. J'apprends davantage à entendre cette conversation qu'en lisant dix ouvrages théoriques sur le sujet. Tout en faisant le ménage, elles parlent d'une de leurs camarades qui se laisse aller sans réagir.
L'énergique fille des îles, raconte comment elle s'est sortie de nombreuses difficultés familiales, financières et de chômage en se prenant en mains, sans pleurnicher, sans se plaindre du destin. Un fille formidable.
Changement de pansement au cathéter.
Christelle laisse une apprentie faire le travail sous son contrôle.
La jeune fille est lente, précise, et le soin prend beaucoup de temps, mais il est effectué selon les règles strictes d'hygiène à observer.

Samedi 21 août – Toilette seul. Quel plaisir, quel soulagement après 3 semaines de sensation d'être un légume, dépendant des autres pour le pipi, le caca, la toilette, d'être à nouveau capable de se débrouiller un peu seul, de ne plus se faire calotter, bouchonner, décalotter la nature intime et décrasser le trou de balle par des mains étrangères !
Mais le moindre geste coûte ! éruption de boutons que je soigne avec de la gelée d’aloes-vera.
Soins et renouvellement des pansements, du pied et du cathéter où aboutissent les tuyaux transportant le sérum, les antibiotiques, etc.
Ce matin cette opération est exécutée par Caroline Guennec, jeune apprentie pleine de douceur et de scrupules, sous la houlette de Christelle L'Hours.
Ses progrès sont rapides. Minutie et doigté.

Dimanche 22 août – Nuit sans douleur. Effectue seul ma toilette. Transporte ma chaise au cabinet de toilette. Installe mon matériel. Ensuite promenade de 150 pas avec la kiné.
Coup de fil de Fernande de T, de Patrick le Nain. Grandes lectures. J’achève l'admirable « Dictionnaire amoureux de la Justice » de Jacques Vergès.
Babeth se propose de venir me voir depuis chez elle. Je l'en dissuade.

Lundi 23 août – Nuit calme. Toilette seul. Promenade de 200 pas derrière ma nouvelle potence à tablette stable. Matin visite du Dr Vidil. Après midi Dr Wolf+assistante +internes.
Un interne, Brice le Taillandier refait mon dossier. Je pense que c'est un exercice qu'on leur donne à faire…
Toujours les mêmes questions auxquelles je varie les réponses ! Visite de Charlotte avec Capucine en contrebande. Caresse et léchouilles!

Mardi 24 août 2004 – Nuit calme. Usine à pisse. Nuit froide (clim trop poussée, je grelotte, je claque des dents). Une surveillante de nuit me sauve la mise en me couvrant le haut du corps jusqu'au menton avec un drap plié en 6.
Visite du Dr Vidil+ Dr Wolf+3 internes dont une Libanaise.
Lors de ma promenade mon pied se met à saigner.

Mercredi 25 août 2004 – Nuit bonne grâce à la couverture d'enfant que Charlotte m'a apportée. Ai bien dormi malgré 6 réveils pipi. Urine rouge/orange sanguine. Chasse à la chemise en coton. Mme Aÿ finit toujours par m'en trouver une. Nous parlons beaucoup. Cambodgienne, elle adore l'Irlande. Elle a lu James Joyce.
Matin prise de sang difficile. Un nouvel interne reprend mon dossier à partir de zéro. C'est bien ce que j'en pensais, c'est un exercice pour apprendre à rédiger un dossier de malade. Nous parlons un peu. Il semble très motivé par ses études. Il a la vocation.
Visite d'un nouveau médecin, une femme énergique, le Dr Desplace, bactériologiste ? Elle « visite » mon pied sous toutes ses coutures pendant les soins que m'apporte Christel. Elle examine mon pied à la loupe, exige un nettoyage plus à fond des traînées de sang séché. Elle découvre un nouveau foyer d'infection à l'intérieur du pied, là où pousse un bubon violacé. Elle exige une ponction immédiate pour faire examiner l'humeur au labo. Christelle s'exécute, mis je la sens contractée car la Doctoresse lui parle sèchement. La pauvre reste sur sa réserve mains n’en pense pas moins. En tout cas le courant ne passe pas entre les deux femmes.

Jeudi 26 août – Nuit calme. Visite matinale du Dr Vidil. Puis, c'est la tournée du médecin de service. Nouveau médicament pour réguler le transit intestinal, éviter les selles trop fluides. (Fungizone 10%).
Visite du Dr X et de son cortège d'internes. Il ne semble pas au courant de la visite du Dr Desplace, la veille. Il semble que deux équipes médicales différentes s'occupent de mon cas sans que les consignes et les résultats soient correctement transmis. L'énorme enveloppe de mon « dossier médical » enfle démesurément !
Ce séjour à St Joseph tourne autour de deux centres : mon pied et l'urine.

Vendredi 27 août – Nuit calme. Prêt pour le curetage au bloc du nouveau foyer d'infection à la plante de mon pied gauche. Prise de sang. Douche à la bétadine avec l'assistance d'un grand et fort citoyen des îles. Savonnage discret, précis, impeccable. Je n'ai plus d'amour propre, de quant-à-moi !
Il y a peu de semaines encore j'eusse protesté contre cet « attentat à ma pudeur ». Dans l'état de faiblesse où je suis, où dès que je me lève mon cerveau s'embrume, où tout tourne, je me laisse faire.
Cela me rappelle ce passage touchant des mémoires du Sergent Bourgogne, où, lors de la retraite de Russie, il aide à pisser un vieux grognard de la Grande armée dont les mains gelées ne sont plus que des moignons.
Après un mois d'hôpital je suis devenu soumis, sans révolte, docile à tous les soins. Mais je dois dire qu'à St Joseph l'assistance est impeccable. A peine si, de temps à autre, une nouvelle infirmière, une aide soignante, un ou une « poussebalai» garde un visage fermé, une attitude renfrognée ! Il me suffit de leur parler, de leur sourire, pour que de leur côté leur visage s'ouvre.
Pourtant, je sens que nombre de ces personnes ne sont pas ici par vocation, par amour du métier, mais uniquement pour gagner leur vie. Il m'arrive de leur demander leur motivation. Alors même chez les « souriantes » je ressens quelque réticence. Mais la plupart, en toutes circonstances, prennent sur elles. Il m'arrive de deviner leurs difficultés et je comprends à demi mot que leur vie n'est pas toujours rose dans leurs rapports avec leurs collègues ou avec la hiérarchie. Mais elles prennent sur elles.
J'en ai vu arriver au bord des larmes mais travaillant quand mêmes, pudiques, discrètes, silencieuses, efficaces.


Suis-je bien tombé ?
Des « collègues » malades, patients du même hôpital m'ont raconté des expériences différentes, des lits non faits après le départ d'un malade dont les draps simplement tirés et l'oreiller tapoté accueillaient un nouveau malade.
Pour ma part, selon mon expérience personnelle, je les trouve admirables…
les hommes aussi, le plus souvent… même si le personnel masculin me sembla parfois moins précautionneux, moins méticuleux, plus réfractaire. Au fond, le métier de soignant, d'infirmier, voire de médecin devrait être un métier féminin. Quoique. Il est vrai que je devinais souvent à travers de petits rien, au timbre de la voix, des invertis et je sentais les oppositions, les conflits sous-jacents toujours feutrés, n'éclatant jamais au grand jour.
Au bloc, avant la mise sous masque, je reconnais cette fois plusieurs assistants et nous échangeons des signes d'intelligence, de petits sourires, des propos aimables ! Plus expérimenté, plus lucide, je tentais de me souvenir de mon « entrée en anesthésie », mais en vain.

Samedi 28 août – Nuit bonne. Rêve étrange, très réaliste suivi de pollution.
Tél : France, Etienne, Charlotte. Matin visite ménagère de Gueule de raie à bouc en compagnie de Dieudonné. Deux pousse-balai à dégourdir. Renouvellement pansement du pied et cathéter.
Léger incident avec pousse-balai qui veut que je pisse dans l'urinal déjà presque plein. Je refuse. Je lui rappelle l'incident passé, échange de propos ferme mais courtois. Boutons, rougeurs irritantes, éruptions cutanées que je soigne à l'aloès.

Lundi 30 août – Nuit correcte. Matin : toilette avant déjeuner. Visites Dr vidil et Dr Michon-Pastourel, spécialiste vasculaire. Promenade matin : 400 pas. A.M. 200 pas. Toujours excellente ambiance. Soins précis.

Mardi 31 septembre – Nuit correcte. 2 examens en service vasculaire et cardiaque. 1 examen Doppler du coeur et alentour par le Dr X. sympathique et compétent. Taille moyenne, soigné, souriant. Assistante apprentie. Résultat bon : rien de particulier. Coeur normal.
Après deux heures d'attente, durant lesquelles je fais la connaissance d’un autre patient : André Chevin. Je suis poussé sur mon lit vers un petit antre un peu en désordre où officie, très affairée, une femme médecin à l'allure masculine, au physique ingrat, au visage revêche, aux gestes brusques.
Elle ne me dit pas bonjour mais entre en conflit avec l'imprimante rétive de son ordinateur. Une jolie assistante, gracieuse, patiente, souriante essaie de pallier aux fantaisies de l'appareil et y parvient.
La vieille vache s'empare de son appareil, m'enduit de vaseline des pieds à la tête, puis me plaque son espèce de pommeau sur les jambes, les cuisses, l'aine, le ventre, le torse, le cou, etc.
Sans comprendre, mais intéressé par les dessins qui apparaissent sur l’écran, j'essaie de suivre la progression l'examen, mais le dragon me rabroue vertement.
D'une main impérieuse elle rectifie la position de mes jambes, de mon bassin, de mon torse en spécifiant d'une voix sèche :
– C'est moi qui dirige les opérations. Vous n'avez pas à regarder le cadran.
Vous n'avez qu'à vous laisser faire…
Lorsqu'elle a terminé son examen, elle compulse mon dossier « vert » d’une main nerveuse, trifouille, farfouille, envoie voler des feuilles par terre.
Grognant, grommelant, geignant, elle tape son rapport et ses résultats à l’aide de deux doigts malhabiles, appelle son assistante qui vient, rapide, diligente et dirige mon lit hors de l'étroit cabinet.
Lorsque je lui demande le résultat, elle me dit : Rien de sérieux ! Puis elle ôte sa blouse, revêt une sorte de survêtement informe, étriqué, et s'en va sans un mot d'encouragement ou d'adieu ! Cette attitude peu amène envers le patient que je suis est largement compensé par le sourire et l'attention délicate de son assistante qui me souhaite un prompt rétablissement avant de me confier à un véloce « brancardier ».

Mercredi 1 septembre – Nuit correcte. Visite de Mme Vidil toujours charmante, souriante. Renouvellement des pansements. Visite Dr Michon-Pastourel spécialiste vasculaire et de son assistante : Charlotte Lepoutre. Prix de beauté et de gentillesse.
Temps splendide. Dans la "lucarne" ouverte sur le ciel bleu, je vois décoller une cinquantaine d'avions par intervalle de 2 à 3 minutes. Fascinant. Moins de pigeons.
Vendredi 3 septembre – Matin toilette avant 8 heures. Deux poubas fatiguées font le ménage un peu à contre-coeur. J'essaie de les faire sourire, de les faire parler.
Aujourd'hui les médecins qui s'occupent de moi étudient ensemble mon cas pour décider de la suite du traitement.

11 h appel du Dr Baruch.
Le Dr Vidil survient au même instant pour m'apporter des nouvelles rassurantes. Mon pied gauche, plusieurs fois opéré, cicatrice bien, les antibiotiques font leur effet pour couper court à l'infection. Seule question encore sans réponse, par quel canal, quelle plaie l'infection a-t-elle pu accéder à mon organisme pour agresser mon pied.
Deux hypothèses. Soit elle est entrée par une petite blessure que mon diabète rendait indolore, soit par un caillot issu d'une artère du creux poplité de mon genou étant allée se loger, fragmentée, dans mes orteils ? Si c'était le cas, une nouvelle opération devrait être envisagée.
Promenade au jardin. Temps doux. Splendeur des fleurs. Harmonie des couleurs. Roucoulement des pigeons et pépiements des oiseaux grappillants des graines sur les hampes défleuries des graminées.

Samedi 4 septembre – Visite de Carole et d'Anne avant leur départ pour Bourron. Nouvel infirmier pour le week-end, David Guilbert. Nous avons sympathisé et parlé longuement de choses et d'autres. Il est agnostique et grand lecteur de livres d'histoire. Il fait très beau… dehors. Au téléphone, Carole m'annonce qu'elle a trouvé des cèpes.

Dimanche 5 septembre – Nouvelle nuit d'insomnie. Grandes lectures. Petits cauchemars répétitifs.
A côté, dans la salle du petit personnel soignant se déroule une surboum antillaise. Rires, chants, applaudissements, gaieté exubérante. J'hésite entre me lever et d'aller avec ma potence participer à la fête et le déplaisir de supporter ce barouf.

Mardi 7 septembre – Anaïs Evin, la douce et charmante infirmière qui me soigne depuis plus d'un mois vient me changer les pansements pour la dernière fois.
Elle part pour Rouen. Je lui demande si ses camarades lui offrent un pot d'adieu :
– Oh non ! il n'y a pas assez longtemps que je suis ici.

Mercredi 8 septembre – Visite du Dr Mourad Redgimi. Il m'explique que l'infection dont je souffre, favorisée par mon diabète, a pu attaquer mon pied de plusieurs manières. Qu'on ne connaît pas exactement la voie. Mais que même enrayée par les antibiotiques, elle peut revenir à tout moment.
Donc, précautions à prendre à la sortie : une stricte hygiène des pieds, lavage 2 X par jour. Chaussures assainies. Pieds maintenus propres par une pédicure médicale. Maintien à un niveau correct de mon diabète par des médicaments, de l'exercice quotidien par la marche et un régime sérieux.
Une des poubas originaire de Djibouti me raconte que sa mère, diabétique, restée au pays a elle aussi failli perdre son pied. Dans les mêmes conditions que moi. C'est elle, sa fille, qui l'a soignée durant des mois. David me refait le pansement. Nous parlons de nos lectures, d'Histoire. Il me demande si j'ai lu Teilhard.
Je lui dis ce que j'en sais. Je lui parle de Tacite qu'il ne connaît pas, de Saint-Simon qu'il ne connaît pas non plus.
Promenade. Assis sur un banc de la terrasse couverte avec vue sur le jardin je contemple la Vierge naïve et touchante qui se dresse en son centre. Des centaines de papillons, d'oiseaux, volent en tous sens. Un sentiment de calme, de sérénité émane de ce lieu magique dont l'harmonie apaisante doit secréter de secrètes effluves de bonheur aux malades qui viennent s'y reposer, au personnel médical qui passe et repasse sans relâche, pressé et soucieux, aux visiteurs.
A un moment donné, il me semble reconnaître l'infirmier aux cheveux noirs et bouclés au cours de la nuit agitée que j'essayais d'arracher les tuyaux de mes perfusions.
Nous nous saluons discrètement mais je ne sais s'il m'a reconnu !
Anne Vidil passe aussi, en tenue de ville, souriante, réservée, lumineuse. Pour ses malades, le charme et l'énergie rayonnante qui émanent d'elle représentent assurément 50% de leur guérison.

Jeudi 9 septembre – Visite du Dr Wolff. Mince, élégant, affable, il ressemble à Jean-Paul Baudouin. Il me dit que je vais passer au service vasculaire où je subirai après examens une opération nécessaire à prévenir le renouvellement de l’accident qui m'a conduit ici.


Prise en charge à 100%.
Plus les jours passent, plus je me soucie du coût de mon maintien à l'hôpital et des soins médicaux qui me sont donnés. A plus de mille € par jour, cela va être la ruine.
Ai-je commis une erreur il y a 3 ans lorsque j'ai refusé une prise en charge à 100 % de mes dépenses médicales en lui disant que tant que je pouvais payer, je préférais ne pas aggraver le trou de la sécu en payant mon écot !
Sans doute le système bureaucratique de la Sécu n'aime-t-il pas ce raisonnement « citoyen » !
Il y a quelques jours, lorsque je passais mon Doppler, une patiente de passage se fit refuser l'accompagnement vers la sortie en fauteuil roulant pour la raison que par souci d'économie des deniers de la sécu elle était venue en consultation en taxi et non en ambulance, sur prescription médicale !
Différence entre les deux coûts ambulance : 120 € à la charge de la Sécu, taxi 20 € à sa charge ! Je propose au Dr Wolff d'installer à bord d'une bicyclette un support amovible pour les tuyauteries de mes perfusions, une dynamo permettant grâce au pédalier l'alimentation en énergie de la seringue électrique parfois défaillante.

Vendredi 10 septembre – Dernière visite du Dr Vidil qui part en vacances ce soir. Elle transmet ses instructions au Dr Redgimi. Elle m'annonce aussi mon transfert pour le lundi suivant dans le service vasculaire du Dr Michon Pastourel. Elle prévoit encore 15 jours d'antibiotiques à haute dose puis ce sera au Dr Michon Pastourel d'aviser au vu des analyses.
Nouvelle infirmière, encore malhabile. Changement laborieux du tuyau du cathéter.

Samedi 11 septembre – Nuit de grandes lectures. Charlotte m'annonce qu'il est survenu une panne d'allumage ou de batterie de sa K.
Coups de fil de Colette et d'Ed Maykut et de France.
La peau autour du pansement du cathéter à l'épaule est fortement enflammée.
J'enduis de gelée d'aloès le champ irrité où prolifèrent les boutons rouges qui m'irritent. Ça me gratte terriblement.
Retour de vacances d'une charmante aide-soignante dont j'ai apprécié les soins au mois d'août. Lorsqu'elle entreprend de me bassiner, de me laver les parties intimes, de me changer comme elle le faisait il y a quelques semaines, je lui dis fièrement que je fais désormais ma toilette seul, sans assistance, que je n'ai plus besoin du bassin, que je me lève, elle a un beau sourire.
Christel accompagne le médecin de service dans sa tournée quotidienne. Je leur raconte comment il y a cinquante-cinq ans j'ai participé activement, avec un flacon de kirsch et mon couteau suisse, à l'accouchement d'un bébé dans le train de nuit Genève-Paris.

Dimanche 12 septembre – Nuit agitée. Pénible. Rêves obsédants. Fringale au petit déjeuner. Ai mangé un croissant et 1 petit pain gardé depuis la veille.
A midi, glycémie élevée : 2,30 gr.
Lors de sa visite Charlotte me raconte sa panne de batterie de la veille et sa convocation à la police pour l'affaire de Babeth. Elle semble nerveuse. Elle m'apporte mon PC portable pour un essai d'utilisation. Dispute immédiate. Je travaille durant deux heures avec plaisir écrivant les premières pages de mon séjour à St Joseph.

Lundi 13 septembre – Insomnies. Infirmière de nuit : une très jolie espagnole.
Accent délicieux. Rapide, compétente. Une perle ravissante.
Petit matin: retour de Christel, toujours aussi calme, efficace. Haÿ est là aussi.
Visite du Dr Breville avant transfert au service vasculaire. Appels de Charlotte, Patrick. Changement cathéter par Caroline. Visite David. Suis transféré au service "explorations vasculaires". Chambre 3408. Infirmier Mourad. Un curieux ludion de banlieue. Rigolo, gentil, causant, rieur. Ai perdu ma "potence". Une femme médecin m'examine attentivement. Electrocardiogramme. Dois passer un scanner après-demain, vendredi.


Mercredi 14 septembre – 50e jour d'hospitalisation.
Nuit assez bonne. Problème : potence. Je n'ai plus de "gibet" stable avec tablette pouvant supporter ma "pompe" me permettant de circuler en toute indépendance.
Température : 36°8 Tension : 9/5,6 à 13/6. Glycémie : 1g15 – 2 gr 01
Chantal Humbert, l'infirmière de nuit en train de réapprovisionner le contenu de mes réserves et de régler ma pompe du goutte à goutte, a oublié de refermer la porte de ma chambre. Il est environ 3 heures du matin.
Un patient entre deux âges, tête penchée en avant au-dessus de son buste, rôdant en clopinant dans le couloir désert, une clope allumée à la main, ahanant comme un soufflet de forge.
Il entre dans ma chambre, le visage halluciné, marmonnant des mots incompréhensibles. Il tente de s'asseoir sur mon lit soufflant une haleine tabagique et avinée. L'infirmière le dissuade avec douceur mais fermeté de regagner sa chambre ce qu'il se dispose à faire…
Il n'est pas de mon service me dit l'infirmière, mais je sais qu'il rôde toutes les nuits comme une âme en peine.
6 h 1/2 Prise de sang. Electrocardiogramme. Conversant avec les infirmières et les aide-soignantes, je me rends compte que bon nombre d'entre elles sont ouvertes aux médecines alternatives, aux plantes. Elles constatent tous les jours les limites de la médecine classique.
Aujourd'hui une diététicienne hindoue de Madras me parle de l'aloès et des bienfaits de la médecine ayurvédique. Je vais lui donner un de mes livres.
Promenade avec mon portique branlant. Ai bavardé avec l'infirmière chef du service de chirurgie orthopédique qui m'a reconnu. Conversation intéressante sur la profession, l'hôpital, les malades.

Mercredi 15 septembre – Nuit bonne. Scanner.
Infirmiers de jour : Mourad et Emmanuel. Infirmière de nuit : Chantal Humbert.
Interne : Charlotte Lepoutre, spécialiste vasculaire, jolie, sympathique, dynamique.
Visite des Dr Lazareth et Priolet. Visites de Charlotte, Geneviève et Jacques. Tél: Mandorla, Montagner. Temp : Tension : Pouls: Glycémie: Matin : 36,07 1 g 03 Midi : 11/6 1 g 04 Soir : 36,05 11/6 56 1 g 80
Passage au scanner. Première fois de ma vie. Préparation Piqûre injection produit. 2 ratés douloureux. Le novice maladroit fait appel à Gilles. Réussite indolore au premier essai. Scanner en tunnel. Impression désagréable. Allongé sur un brancard étroit qui s'avance mécaniquement vers l'anneau métallique. Ma tête s'arrête juste avant de heurter le rebord de l'appareil. Les ordres sont synthétiques.
On dirait un robot.
Soulagement quand je regagne ma chambre et retrouve mon lit beaucoup plus confortable.
Le Dr Lazareth incise le bout des orteils de mon pied gauche qui sont nécrosés et y découvre 2 foyers d'infection. Le Dr m'interdit de marcher sur la plante du pied gauche. Finies les promenades au "jardin de la Vierge.
Comme je dis au docteur qu'au service de chirurgie orthopédique on m’avait encouragé à la marche, d'abord sous surveillance du kiné, puis seul, je ne comprends plus… Cafouillage ou différence de méthode?
Le Dr Lazareth m'explique : afin que les trois foyers infectieux de mon pied opéré cicatrisent bien, il ne faut pas exercer de pression sur eux. J'ai le droit de les remuer, de faire trois pas jusqu'aux WC, désormais ce sera tout! Nuit, vers 10 h : hypoglycémie. Biscuits. Médicaments : Sectral 500mg Bêta bloquant. Zertoretic, Topalgic 58 anti douleur Tardyferon 89 Tahor 10 Inexium 20 Injections insuline et anticoagulant. Mycomyst (pour diminuer l'iode après le scanner)

Jeudi 16 septembre 2004 – Nuit bonne.
Matin : prise sang. Conservation de l'urine. C'est Fatima qui renouvelle le pansement de mon pied et le montre, une fois déballé, au Dr Pascal Priollet, chef de service et au Dr Lazareth.
Une interne, Charlotte Lepoutre me rafistole le cathéter, dont elle renouvelle la tuyauterie et recoud à ma peau la liaison qui s'effiloche. Indolore. Je suis surpris et j'admire ce savoir-faire qui rend tous ces travaux parfaitement indolores.
Le Dr Priollet se déclare satisfait de l'état de mon pied, de sa cicatrisation et préconise la poursuite du traitement jusqu'à la cicatrisation complète. Il reste à la base du gros orteil un trou de la grosseur d'une pièce d'un euro.
Examens : radio des poumons Echographie. Tout semble correct.
On m'annonce mon retour au service de chirurgie orthopédique ce qui m'éloigne des coupeurs de pieds…
Charlotte a un long entretien avec le Dr Lazareth. Le Dr Desplace qui coordonne les "opérations" de mon traitement lui annonce que la nième édition peut être évitée. Lorsque la cicatrisation sera complète et que l'administration des antibiotiques ne sera plus nécessaire, je pourrais sortir…

Vendredi 17 septembre – Nuit bonne. Charlotte est en travaux. Changement de moquette… Température 36°2/36,8 Tension 11/7 Glycémie : 0,80 gr. 1 gr 04 à 22 h. Matin : prise de sang. Soir piqûre anticoagulant. Insuline.

7 octobre 2004 – Sortie de Saint-Joseph. – Je boite un peu mais je marche sur mes deux pieds. Je garderai un excellent souvenir de ce long séjour. Un dernier coup d'oeil à la Chapelle où je n'ai jamais mis les pieds mais que j'avais sous mes fenêtres.





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FIN DU TOME 3




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